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Illustrations :  Scott Ramsay Kyle pour VICE FR 

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Pourquoi le porno hétéro ne m’excite plus

« Je ne supportais plus d’essayer de comprendre comment une fille pouvait jouir allongée sur le rebord d’une table, les jambes écartées, face à un loupé de la vie qui a un physique d’hardeur Ukrainien stéroïdé. »

En tant que femme hétérosexuelle, je me sens condamnée à envisager ma vie sexuelle et amoureuse par le prisme de gros mecs dégueulasses et odieux. C’est déprimant, et cette idée m'a toujours fait envier les lesbiennes, qui, non seulement peuvent se taper des filles mais nourrissent leurs fantasmes (réalisés) grâce à du porno qui ressemble à leur vie. Moi, le porno qui apparemment correspond à ma catégorie sexuelle ne ressemble pas du tout à ce que je cherche dans le sexe.

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Selon une étude, 47% des femmes regardent du porno. J'ai rejoint ce club depuis mes 18 ans, quand j’ai commencé à me masturber. C’était devant un film plutôt classique de 25 minutes, consumé jusqu’au bout – performance plus jamais réitérée. J’ai eu mon orgasme à la 24 ème minute, en même temps que le mec. Dans mon esprit de soumise du cul, la femme avait joui aussi. Je n’avais jamais eu d’orgasme avec quelqu’un avant ce moment parce que je ne savais pas que c’était aussi un peu moi la responsable. Je pensais que j’avais un problème à ne jamais en avoir. Pire que ça, j’ai supposé un moment que j’en avais, mais que ça ne me faisait rien. Néanmoins, « on le sait quand on l’a », fait partie des trucs vrais parmi ceux qu’on entend.

En attendant, je me suis tapée des pornos en quantité inavouable.

C’était super et pour ne rien gâcher, je ne me posais pas vraiment la question de ce par quoi j’étais excitée. L’éclairage rudimentaire, le visage suppliant de l’actrice en plongée se gargarisant d’une ultime éjaculation faciale, les bruits à retardements des coups de reins envoyés à la même personne à quatre pattes bien qu’à bout de force – c’était tout ça qui me fascinait, un truc purement voyeur et avilissant dont je me satisfaisais par pur existentialisme mais qui, malgré moi, a finit par m’écœurer.

J’ai notamment un souvenir assez sinistre d’un soir où, après avoir éteint la lumière de ma chambre, je décidais de solliciter mon ordinateur une dernière fois pour entrer le nom, le beau nom de Stoya dans la barre de recherche Youjizz. Stoya que j’adorais, était en train de se faire immodérément saccager par un énorme type, poilu et un peu flou par surcroit, sans doute parce que même la caméra refusait de se résigner. C’était insupportable.

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Je ne supportais plus d’essayer de comprendre comment une fille pouvait jouir allongée sur le rebord d’une table, les jambes écartées, face à un loupé de la vie au physique d’harder Ukrainien stéroïdé, en train de faire la navette en elle comme dans une tarte aux pommes. En effet, parce qu’elle ne jouissait pas. Mes orgasmes ont pris congé et si aujourd’hui, assise aux terrasses de cafés, je mate éhontément des meufs passer en m’imaginant leur bouffer la chatte, c’est parce que ma consommation de porno lesbien dépasse l’entendement. En basculant dans cet univers, j’ai trouvé des filles comme Stoya qui se tapaient des filles comme Stoya. Ce que j’ai remarqué aimer, c’était l’interchangeabilité de leurs rôles, grand absent des films hétérosexuels normés. Alors que dans la vraie vie, dans la mienne et celle des garçons avec qui je le fais, le sexe (de qualité) ressemble à quelque chose de consenti par les deux personnes. Et par « consenti », je veux dire proche de l’abnégation.

« J’aurais peut-être cru être un cas isolé si une étude n’avait pas rapporté que 55% des clientes du porno en regardaient aussi. Et parmi elles, la totalité de mes amies. »

Par ailleurs, en discutant avec les mecs avec qui je couche, j’apprends qu’ils se droguent aussi au porno lesbien. Je sais que l'expression "porno lesbien" ne veut pas dire grand chose, si ce n'est qu'il s'agit de femmes qui font l'amour. Il existe bien sûr du porno lesbien pour hommes hétérosexuels qui rêvent de se faire drainer la nuit par deux femmes, du porno lesbien pour lesbiennes et du porno lesbien femmes hétérosexuelle. La différence entre ces genres qui sont tantôt destinés aux mecs, tantôt destinés aux filles, je ne la vois pas. Mais si un garçon va regarder un porno lesbien, c’est qu’il peut y voir des filles s’investir mutuellement dans le plaisir de l’autre, et se projeter dans un contexte qui va au-delà de se vider. Comme moi, en somme.

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J’aurais peut-être cru être un cas isolé si une étude n’avait pas rapporté que 55% des clientes du porno en regardaient aussi. Et parmi elles, la totalité de mes amies. Si mon entourage féminin est exhaustivement aiguillé par le porno lesbien, c’est un hasard. Toutefois, la fille hétéro qui a une vie masturbatoire active en regardant du porno hétéro classique, je ne la connais pas. Je crois bien qu’elle n’existe pas.

« Je pensais être spéciale », s’est étonnée mon amie Manon quand je lui ai appris que toutes les filles que je connaissais privilégiaient le porno lesbien. Manon a aussi eu envie de baiser de la meuf au moment où elle amorçait sa consommation sur Pornhub, dont la catégorie lesbienne est la plus populaire, selon une enquête Pornhub.

Au bout de trois films, elle est tombée sur un film lesbien et n’a plus jamais regardé autre chose. « L’explication qui me vient à l’esprit est que les filles savent se faire jouir entre elles ». Parce qu’elles seraient plus frileuses de le faire avec des garçons ? « Peut-être, m’a-t-elle répondu, mais surtout parce que les pornos hétéros sont destinés aux mecs, non ? Là, elles se sautent dessus mutuellement, elles sont plus généreuses, elles se plaisent vraiment. Moi ça me fait oublier que c’est un film et j’ai besoin de ça pour être excitée ».

J’ai demandé à une autre amie, Laura, elle aussi hétérosexuelle, bonne amie malgré son couple qui dure depuis huit ans et amatrice notoire de pornos lesbiens – ce qui lui donnerait envie de se réconcilier avec le porno hétéro. « Des scènes violentes, a-t-elle assuré. Mais pas de la violence à sens unique. De la violence comme celle qu’il y a dans le vrai cul. Celle qui donne la preuve que quelque chose se passe. Ça se trouve aussi dans le porno homo de garçons, dont je suis autant éprise. Je veux que ça ressemble plus aux rapports que j’ai avec mon mec : je suis super excitée, lui aussi et on est complètement relâchés. Je me fais avoir un orgasme, on fait tout pour ça et pour lui aussi ». En substance ça ressemble à une fille qui se frotte à quelque chose pour se faire jouir. Et Laura a beau s’engager dans la catégorie « orgasme », sur aucun site de cul elle ne déniche ce qu’elle arrive à trouver sans peine dans les pornos lesbiens. Où, en l’occurrence, la fille se frotte à une autre. Laura fait aujourd’hui partie des heureuses 16% de femmes qui obtiennent « systématiquement » un orgasme.

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« Je me trompe peut-être mais à force d’être témoin de la promesse – vraisemblablement tenue – selon laquelle les meufs entre elles se font jouir, on finit invariablement par croire que dans la vraie vie, le sexe homo est supérieur à un rapport hétéro. »

Manon demande quant à elle à se projeter en train de niquer le mec en face d’elle. « Les hardeurs me font penser aux beaufs que je fuis en boîtes de nuit. Mon mec est beau, je veux que celui qui me fasse fantasmer soit au moins aussi bien ».

J’ai fait le lien, rapide mais admissible, selon lequel la naissance du désir des filles hétéros pour d’autres filles est dû à leur inclinaison naturelle, puisque mieux, pour le porno lesbien. Je me trompe peut-être mais à force d’être témoin de la promesse – vraisemblablement tenue – selon laquelle les meufs entre elles se font jouir, on finit invariablement par croire que dans la vraie vie, le sexe homo est supérieur à un rapport hétéro. Je fais partie des élues hétéros à avoir essayé avec des filles et je pourrai répondre à cette question quand l’une d’entre elles me donnera envie de devenir radicalement lesbienne.

En attendant, si le problème de l’authenticité pourri des vies, des sites comme Make love, not porn, ouvrent leurs bras à tous ceux qui ont décidé de rester hétéro pour profiter d’un porno qui encourage la « non-performance » et soutient la sensualité. Bon voyage onaniste.

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