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Santé

Ce qu’on vit quand on souffre de dépression à huit ans

Je voulais seulement rester dans ma chambre, les lumières éteintes et les rideaux tirés, loin de ma famille et de l’école.
depression childhood mental health children
L'auteur lorsqu'il était enfant; collage par Owain Anderson.

En rétrospective, le diagnostic de dépression n’a rien de surprenant. Alors que les autres enfants jouaient ensemble, moi, je m’isolais. Je n’étais ni le garçon espiègle qu’aiment avoir les pères ni le bon petit garçon qu’adorent les mères. J’étais à part, difficile à comprendre et désespérément déprimé. Quand j’ai commencé l’école, comme j’étais de toute évidence une sorte d’anomalie, j’ai été victime d’intimidation, naturellement.

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À huit ans, au début de la quatrième année, j’en étais au point où me lever chaque matin était devenu un combat pour moi et mes parents. J’ai commencé à avoir du mal à marcher. J’ai commencé à avoir des maux de tête atroces et à aller souvent voir des médecins, qui spéculaient sur ce qui n’allait pas chez moi. La dépression n’a jamais été abordée, malgré tous les signes, probablement parce que j’étais trop jeune. Ma situation ne faisant que s’aggraver, mes parents, de plus en plus inquiets, me ramenaient à la clinique. J’ai finalement cru que j’avais une tumeur au cerveau. On m’a fait passer un examen, et les résultats ont été négatifs (évidemment).

La dépression a contaminé même les plus petites sources de joie que j’avais en moi. Je voulais seulement rester dans ma chambre, les lumières éteintes et les rideaux tirés, loin de ma famille et de l’école. Dans ma chambre, avec Dragon Ball Z, dans la noirceur, je me sentais normal, pas à l’école, où on me faisait sentir différent.

Bien que les signes soient nombreux, quand on est enfant, on ne constate pas sa déprime. On ne fait pas d’introspection. À cet âge, ingénu, on ne fait que ressentir, sans réflexion, sans compréhension, sans mots.

Au Royaume-Uni, on diagnostique un trouble de santé mentale chez 12,8 % des enfants et des adolescents (entre 5 à 16 ans), et des troubles émotionnels (dépression et anxiété) chez 8,1 % d’entre eux. Mais comme 25 % de la population adulte souffrent d’un trouble de santé mentale diagnostiqué (plus, si on ajoute ceux chez qui il n’a pas été diagnostiqué) et que les trois quarts des troubles de santé mentale débutent dans l’enfance, les pourcentages réels sont sans doute encore plus élevés.

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Il y a de quoi s’inquiéter que la dépression de nombreux enfants ne soit pas diagnostiquée, car en général, sans traitement, la dépression s’aggrave, parfois jusqu’aux troubles de santé mentale comorbides. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le suicide est la troisième cause de mortalité chez les adolescents.

Alors qu’on dispose d’une abondante littérature sur la dépression chez les adultes, il semble y avoir pénurie d’information sur la dépression infantile. Cherchez « dépression chez les enfants » avec Google et vous obtiendrez beaucoup de résultats, mais la majorité d’entre eux ressemblent à des conseils pour les adultes dans lesquels on aurait simplement changé les indications relatives à l’âge.

Par exemple, selon l’OMS, lorsqu’un enfant devient irritable et distant socialement, c’est un signe de dépression. Mais c’est aussi un signe qu’on est un enfant.

Ce sentiment est aussi celui de Stefan Lüttke, pédopsychologue : les critères de l’OMS « ne concernent pas les enfants et les adolescents, mais les adultes ». Il ajoute que « les enfants se referment le plus souvent sur eux-mêmes et essaient activement d’éviter l’école », comme je l’ai fait, et que « si quelqu’un délaisse ses activités et ses routines préférées pendant au moins deux semaines, on devrait chercher à savoir pourquoi ».

Un nombre croissant de psychologues et d’organismes caritatifs diffusent de l’information semblable, ce qui est une bonne chose, mais s’attendre à ce qu’un parent soit aussi perspicace qu’un professionnel de la santé, c’est beaucoup demander. Surtout quand il est probable qu’il penche vers la réponse facile : l’enfant va bien, c’est juste le développement.

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Alors que j’étais en quatrième année du primaire, ma mère me dit qu’elle et mon père avaient convenu au début d’octobre de me retirer de l’école jusqu’au Nouvel An, après quoi j’y retournerais pour tenter un nouveau départ et essayer d’être un enfant de huit ans normal, qui joue à la tague et fait ce que fait un enfant de huit ans. La veille du jour de l’An, à minuit, au milieu du party et des bouteilles de champagne, je me suis sauvé. J’ai couru aussi loin que possible pour me sentir en sécurité.

Mes parents ont compris qu’il avait quelque chose de sombre en moi. On est retourné à la clinique et, cette fois, on m’a diagnostiqué une dépression, prescrit du Prozac, assigné à un psychologue pour enfants et inscrit en ergothérapie.

Charlotte, 23 ans, qui a souffert de dépression pendant son enfance, ressentait aussi le besoin de se cacher. « Je voulais juste disparaître… La vie semblait tellement pire que bonne », dit-elle. Elle en a souffert à partir de l’âge de sept ans, mais la dépression n’a pas été diagnostiquée avant ses 15 ans. Ce qu’elle a vécu jusque-là a été attribué à l’âge prépubère.

Le cas de Molly est semblable. Elle m’a aussi dit qu’on ne s’est pas préoccupé de ses troubles de santé mentale parce qu’on pensait aussi que ce n’était que la prépuberté, et qu’ils disparaîtraient avec le temps. Compte tenu du lien entre les troubles de santé mentale et le suicide à l’adolescence, il est très inquiétant de savoir qu'on dit ce genre de choses.

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La majorité des adultes savent quelles actions sont des signaux d’alarme, connaissent le numéro d’un psychologue, ont des amis à qui ils peuvent en parler. Les enfants, dont les émotions sont aussi complexes que celles des adultes, et peut-être plus, n’ont pas ces outils pour obtenir un diagnostic et un traitement : il leur en faut d’autres.

C’est, me dit ma mère, dans une pièce avec un psychologue pour enfants que je me suis ouvert et que je suis devenu un peu plus « normal », faute d’un meilleur mot. Je n’avais jamais parlé de ce que je ressentais auparavant. Le psychologue a proposé de me laisser décider par moi-même de parler, plutôt que de me poser des questions pour me guider. Il fallait que ça vienne de moi, car les adultes projettent souvent leurs propres idées de la tristesse sur leurs enfants et limitent ainsi leur conception des choses.

Le système était simple : je devais placer mon jouet Simba vers ma mère quand je voudrais parler. Elle a attendu des heures, assise au bord de mon lit, dans le noir, dans l’espoir que je place Simba face à elle. J’ai fini par le faire : à 3 heures du matin, heure que je choisissais souvent pour parler, dit-elle. Je disais des choses incohérentes à propos de personnes que j’aimais et des raisons pour lesquelles je les aimais, ce que je voulais faire dans la vie, ce qui me manquait et ce qui me faisait peur. Je parlais parfois jusqu’à m’endormir moi-même. Même si c’était un progrès, ces moments étaient difficiles pour ma mère. Elle m’écoutait souvent jusqu’à ce que je m’endorme, retournait dans sa chambre et pleurait jusqu’à ce qu’elle doive aller travailler. Ses soirées y passaient et, d’une certaine façon, sa vie. Dans sa tête, je restais aussi fragile que jamais. Un enfant sans armure, dit-elle.

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Pour mon père, la difficulté était que la dépression n’était pas visible : ce n’était pas une jambe ou un bras cassé, ni un œil au beurre noir ou une toux. Il n’y avait pas d’échéance. Tout était intérieur et, pour lui, sans fin. Il ressentait du désespoir et de la colère. Ma mère avait souffert de dépression, et il n’avait alors pas fait preuve d’empathie, niant fréquemment l’existence même de la maladie. Mais après que ma dépression a été diagnostiquée, il a compris le pouvoir absolu de cette maladie, qui pouvait obscurcir mon jeune et candide esprit.

Même s’il souhaitait me voir sortir ma chambre, il avait lui aussi peur de l’effet du monde extérieur sur moi. Il savait que son point de vue sur la dépression était répandu. Il savait que les professeurs et les autres enfants ne comprendraient pas ce handicap intérieur qui me rendait si vulnérable. Il le savait, et, jusqu’à un certain point, ça l’a brisé. Quand je suis retourné à l’école, ma sœur devait s’occuper de moi lors de chaque pause et de chaque dîner. Mes deux sœurs prennent d’ailleurs toujours autant soin de moi.

Le soutien que m’apporte ma famille m’a permis d’accepter ma dépression comme une partie intégrante de ce que je suis. J’ai appris à aimer cette noirceur qui me rendait unique. J’ai de la chance d’en être arrivé à cette relation avec la maladie.

Molly dit qu’elle ressent aussi maintenant une sorte d’amitié envers sa dépression, même si elle en souffre toujours. « Bizarrement, je me sens presque chanceuse de vivre cette expérience depuis si longtemps, dit-elle. J’ai beaucoup d’amis pour qui ce n’est pas le cas, et j’ai eu l’impression de pouvoir être l’amie qui apporte du soutien et qui ne juge pas comme on m’avait jugée quand j’étais enfant. »

Charlotte n’a pas bénéficié de ce genre d’empathie. Sa dépression a pris de l’ampleur à cause de la méconnaissance et la négligence : on lui a dit qu’elle dramatisait et qu’elle était paresseuse. Elle n’est pas arrivée à vaincre sa dépression et en souffre toujours. Elle a tenté de se suicider à plusieurs reprises.

Il y a vingt ans, la dépression infantile était inconcevable. Il y a dix ans, elle l’était moins. Aujourd’hui, il semble qu'on se rend compte que, chez de nombreux enfants, elle est évidente, et que c’est une possibilité à laquelle on doit se préparer. Dans le climat politique actuel, le financement des services d’aide diminue, mais à mesure que la population y est sensibilisée, le nombre de cas nécessitant un traitement augmente. Par conséquent, les services sont de plus en plus sollicités et un plus grand nombre d’enfants sont livrés à leur esprit sombre, irrationnel, dépourvu des connaissances requises. On a tout de même fait un pas dans la bonne direction, et on peut espérer que le financement augmentera.

Quand je parle de ma famille, j’ai peut-être l’air de vanter ma propre chance cosmique d’avoir dans le sang une si grande bonté. Bien que je sois tous les jours reconnaissant de pouvoir compter sur elle, ce sur quoi je veux vraiment insister, c’est sur le pouvoir de l’écoute et du soutien. Je vais bien maintenant. Je pourrais aller beaucoup plus mal, mais ce n’est pas le cas. Parce que ma famille a compris ce que je vivais, ce qui est la plus grande bataille.

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