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Société

Ce que j’ai appris de moi-même en tentant de devenir musulman

Un retour sur mes quelques mois passés avec la religion, et l'échec qui en a découlé.

Longtemps j'ai détesté la religion. À l'âge de neuf ans, quand ma mère, assise sur la banquette d'un Buffalo Grill de province, m'annonce m'avoir inscrit à des cours de catéchisme, je le perçois comme une trahison. Aux yeux du gamin ultra-cérébral que je suis, l'idée du fils de Dieu né d'une vierge et les bigoteries qui s'ensuivent ne sont qu'un vaste tissu d'inepties. À charge de revanche, je m'ingénie à les séances de catéchisme du mieux que je peux, à coups de questions sur la vie sexuelle des prêtres ou de gags potaches – j'essaie notamment d'imprimer une image de mon postérieur via la photocopieuse du presbytère.

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Pourtant, cette désinvolture se dilue avec l'âge, les lectures, les rencontres, les crises existentielles et quelques expériences mystiques, au point de finir par me considérer comme croyant. Cependant, mon esprit humaniste s'accommode toujours mal de la prétention de la majorité des religions à détenir une vérité exclusive, et que ceux qui n'adhèrent pas à leurs préceptes sont au mieux dans l'erreur, au pire voués au feu de la damnation éternelle. Mes croyances rejoignent celles d'Albert Einstein, qui n'adhérait à aucun culte sans se déclarer athée pour autant.

Au fil du temps, mon intérêt s'est posé sur l'islam. Cette fascination est née de la lecture d'aphorismes soufis– le soufisme est une branche mystique, non dogmatique, de l'islam –, d'un penchant orientaliste alimenté par plusieurs voyages en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ainsi qu'un stage dans un média français non confessionnel dédié aux religions et spiritualités. Aussi, je ressentais une frustration à ne rien comprendre à la religion de près d'un milliard et demi de terriens.

Ma première rencontre avec le Coran remonte à décembre 2014. Alors que je fais des recherches sur les groupes terroristes algériens pour un exposé de géopolitique à la fac, l'algorithme de YouTube me suggère la vidéo d'une récitation psalmodiée de la sourate Al-Baqara, la plus longue du livre saint des musulmans. Je clique, histoire de voir en quoi ce texte controversé consiste. Quelques minutes plus tard, je suis littéralement en train de pleurer d'émotion. Sous-titrée en français, la sourate relate notamment l'épisode de Moïse contre Pharaon. Mais c'est comme si les mots employés, et la récitation d'une grande beauté musicale, s'adressaient à moi, ou plutôt à une dimension profonde, enfouie, oubliée de moi-même. J'ai l'impression de comprendre le sens de l'existence, et c'est un sentiment de lucidité comparable à une grosse montée de LSD, le côté artificiel en moins. Intrigué par l'expérience, je télécharge un coran numérique.

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Un mois plus tard, les attentats de janvier me poussent à me renseigner en profondeur sur l'islam. Je veux en avoir le cœur net : cette religion est-elle « dangereuse par nature », comme le prétendent les tenants de l'islamophobie, ou seulement parce qu'elle est manipulée par des extrémistes ? Évidemment, je ne peux accepter les arguments islamophobes ; mais en même temps, les discours type Chalgoumi qui présentent naïvement l'islam comme une religion de paix et d'amour d'une manière hyper consensuelle afin de rassurer l'opinion publique, me semblent de mauvaise foi. Il fallait que j'entre dans la complexité du sujet.

La Mecque, 2010. Photo via Flickr

J'ai toujours pensé que pour vraiment comprendre quelqu'un, il fallait se mettre à sa place, car souvent, la connaissance intellectuelle ne suffit pas. Pour mieux appréhender l'islam, je devais donc penser et ressentir en musulman. En avril dernier, je trouve un job de serveur dans un restaurant halal, et j'entre en contact avec des profils très variés de musulmans français. À la fin de mes services, il m'arrive souvent de me lancer dans d'intenses débats sur la religion avec un ami de mon boss. C'est à ce dernier que je fais part de mon désir de faire le ramadan et d'apprendre la prière musulmane. Je ne veux pas tester l'islam à la légère comme on teste une salle de sport. Aussi, je crains de manquer de respect aux musulmans en faisant l'expérience de leur religion sans que cela n'aboutisse nécessairement à une conversion définitive (je n'exclus pas cette possibilité pour autant). Il me rassure en arguant que l'islam est « si diabolisé que ma démarche ne peut être que la bienvenue ». Je décide de franchir le pas.

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Malgré ma volonté de m'astreindre le plus rigoureusement possible aux préceptes de l'islam, mon mode de vie peine à atteindre le 100 % halal. Une semaine avant le commencement du jeûne, sur Tinder, je rencontre Sheren*, une Indonésienne étudiant à Paris. Issue d'une classe très aisée, elle n'en restait pas moins attachée à sa culture et sa religion. Musulmane, mais non pratiquante, Sheren avait été déçue par son ex, qui ne manifestait que de la condescendance à l'égard de ses croyances. Sensible à mon respect et mon intérêt pour une religion qui fait partie intégrante de son identité, je crois qu'elle a vu en moi une perle rare à ne pas laisser filer. Sheren est loin d'être intégriste. La première fois qu'on s'est pécho, c'était à une soirée, entourés de potes gays et de ses copines sous ecsta.

Tout au long du mois de ramadan, Sheren est la personne que je côtoie le plus. Elle assure en quelque sorte le rôle de mentor, m'apprenant par exemple à prononcer correctement des passages du Coran, alors qu'elle-même ne fait pas le ramadan. C'est elle qui m'explique comment me repentir le matin (en faisant un don à une association) où, m'étant réveillé la gorge desséchée, je ne peux me retenir de boire quelques gorgées d'eau. Sheren prend soin de moi. Ma détermination à suivre les règles du ramadan l'amuse et l'attendrit. Plusieurs fois, elle me parle de la possibilité d'un mariage en Indonésie, si je me convertis pour de bon. Elle argue que son père pourrait me dégoter un job haut placé. Je ne saurai jamais si elle parlait sérieusement.

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Mes cours sont terminés, et je passe désormais mes après-midi sur des forums musulmans pour en apprendre toujours davantage sur l'islam. J'ignore encore que la majorité des sites Web dédiés à l'islam sont en réalité de mouvance salafiste. Plus j'en lis, et plus mes doutes augmentent quant à la possibilité d'une conversion. Cette religion me paraît fondamentalement incompatible avec mon mode de vie et mes valeurs. Comment adhérer à un système de croyances qui tient l'homosexualité pour une abomination, qui institue l'inégalité entre hommes et femmes, dont le livre révélé prévoit des coups de fouets en cas de relations sexuelles hors mariage, et qui surtout, n'autorise pas à renoncer à sa religion, une liberté qui me semble si élémentaire, moi petit Occidental biberonné aux Droits de l'homme. Pourtant, certains passages du Coran et certains hadiths continuent de m'émouvoir par leur tolérance, leur appel à la paix, à la justice, à la sagesse. Je n'y comprends plus rien. Comment un Être supérieur pourrait dire « Point de contrainte en religion » (Coran, S2, V256), tout en vous interdisant un innocent moment de sociabilité alcoolisé ?

Les premiers jours sont les plus halal de ma vie. Ça me rend parfois naïf, comme cette fois où je prends le temps de discuter avec un individu qui essaie simplement de m'arnaquer en me vendant de vieux livres trouvés par terre.

Ayant signé pour un travail dans un festival au Danemark au beau milieu de la période du ramadan, il me faut interrompre le jeûne pendant quelques jours. Impossible de me priver de nourriture et de boisson dans un pays où la nuit ne dure que trois heures en plein été. Ce genre d'interruption est d'ailleurs permis aux voyageurs par le Coran.

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La veille de mon départ, je fais part de mes questionnements à Sheren. Elle m'avoue qu'elle s'est posé les mêmes, et qu'elle a décidé de garder tout ce qu'elle jugeait positif dans l'islam et d'en rejeter le négatif – les contraintes, les interdits, les appels à la violence. Si elle arrive à se sentir en paix avec elle-même de cette manière, ce n'est pas mon cas. Le Coran affirme que ceux qui acceptent une partie de son message mais en refusent une autre sont des hypocrites qui risquent le châtiment. Je ne veux pas faire partie des hypocrites.

« Je suis jeune », je dis à Sheren. « Pourquoi je me convertirais à une religion pleine de contraintes ridicules au XXIe siècle ? Je ne veux pas avoir à implorer le pardon d'Allah pour avoir couché avec une fille en dehors du mariage. D'ailleurs je ne veux pas me marier. Enfin, pas tout de suite. Je veux manger du jambon. Je veux pouvoir changer de religion si ma conscience me dicte ce choix, sans être coupable d'apostasie. Et puis je doute. »

Sheren rétorque qu'à l'école musulmane, on lui apprenait que lorsqu'on doute, on s'éloigne d'Allah. Cette réponse m'agace, et je hausse le ton : « Mais n'importe quel gourou peut sortir cet argument pour te faire culpabiliser d'avoir un esprit critique. J'en ai ma claque de ces réponses qui n'en sont pas ! » Sheren reste sans voix, et ses yeux se voilent de larmes.

Je la prends dans mes bras, tentant avec embarras de m'excuser tandis qu'elle sanglote. Finalement, elle dit : « Ce n'est pas ta faute. Je suis triste parce que je suis incapable de répondre à tes questions. J'aimerais te convaincre, mais je n'y arrive pas, et ça me fait honte. » Je n'insiste pas, revenant à des sujets de conversation plus légers avant de quitter son appartement.

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Je songe à laisser tomber l'expérience islamique, ne supportant plus la crise existentielle qu'elle provoque en moi. Mais c'est aussi à ce moment qu'après trois semaines de mémorisation laborieuses, je réussis enfin à apprendre par cœur la salât, la prière en arabe. Dès lors que je commence à pratiquer ce second pilier de l'islam, à raison des cinq fois par jour réglementaires, ma perception de la religion se met à changer du tout au tout. Le rituel me remplit de plénitude. Mes doutes et mes questionnements s'apaisent peu à peu. En fait, quand vous vous focalisez pleinement sur la musicalité et le sens des mots en arabe récités pendant la prière, il se passe quelque chose d'unique. Vous vous abandonnez à cette transcendance que l'on nomme Allah ; vous vous soumettez corps et âme.

Photo via Flickr

Bien sûr cette soumission n'a rien d'humiliant. C'est un sentiment joyeux, une paix profonde, un grand réconfort, face à quoi toute angoisse vis-à-vis de l'avenir, de l'échec et de la mort s'évanouit. Vous acceptez alors de ne pas tout comprendre et contrôler, vous acceptez le Coran, même ses passages irrationnels.

Le matin de l'Aïd-el-Fitr, la fête célébrant la clôture du ramadan, Sheren et moi allons participer à la prière collective et au prêche à l'ambassade d'Indonésie. Une paix palpable émane des personnes autour de nous. Je ne suis pas peu fier. Malgré les écarts commis pendant le jeûne, je ressens un sentiment de purification bien réel. Ce jour-là, j'éprouve le désir de me convertir pour de bon, en allant prononcer la shahada devant l'imam. Mais au dernier moment, je ne me sens pas prêt.

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Les jours qui suivent sont les plus halal de ma vie. Je pratique assidûment la prière, cinq fois par jour, sur le tapis que m'a offert Sheren. Je fréquente la Grande Mosquée de Paris, traîne dans des librairies musulmanes, et j'occupe mes trajets de métro en lisant le Coran. L'islam me donne envie de répandre le bien autour de moi. Je fais l'aumône, j'aide les vieilles à porter leurs valises dans les transports. Ça me rend parfois naïf, comme cette fois où je prends le temps de discuter avec un individu qui essaie simplement de m'arnaquer en me vendant de vieux livres trouvés par terre. Mais qu'importe, mes intentions sont bonnes, et l'islam me rend heureux. Comment cette si belle religion peut-elle effrayer qui que ce soit ?

La pratique religieuse canalise ma libido. J'évite autant que possible de coucher avec Sheren, ce qui d'ailleurs la frustre. Non seulement, le sexe hors mariage est un grand pêché en islam, mais même pour un couple marié, s'épanouir sexuellement est assez compliqué d'un point de vue logistique. En effet, toute éjaculation entraîne un état d'impureté au cours duquel il est interdit de prier. Il faut alors prendre une douche rituelle, incluant un lavage des cheveux, afin de se purifier. Sachant qu'il y a cinq prières quotidiennes, cela suffit à faire passer l'envie d'une petite baise vite fait bien fait.

Rien ne vient perturber ce nouveau mode de vie jusqu'à la veille de mon départ dans le sud de la France, où vivent mes parents. Ce soir-là, après avoir siroté un soft avec des amis, je loupe le dernier métro à la gare d'Austerlitz. Je tiens à me rendre à la Grande Mosquée. Sauf qu'en chemin, je rencontre quatre Parisiens qui me proposent de les accompagner en boîte. Comme je quitte la capitale pour au moins un mois, j'accepte. Autant en profiter.

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Un club du bord de Seine accueille une soirée gay. À peine arrivé sur le dancefloor que je me sens en décalage avec mon environnement. Alors qu'autour de moi la fête bat son plein, des garçons chopent d'autres garçons tandis que des filles se trémoussent sur scène en prenant un malin plaisir à ignorer les rares mecs hétéros aux yeux lubriques. Quelques semaines plus tôt, j'aurais participé allègrement aux frivolités de la bouteille, de la danse et de la drague. Maintenant, ces comportements m'apparaissent comme l'œuvre de pécheurs et d'égarés.

En sortant de la Grande Mosquée, je passe le salam à un jeune barbu vêtu d'un qamis, très certainement un salafiste. Il me toise avant de laisser échapper un rire méprisant, sans doute dû à mon style, qui contraste avec la religiosité de l'endroit.

À ce moment, je tombe par hasard sur un ami gay, qui me raconte à quel point il s'épanouit dans la pratique de la sodomie active, qu'il avait jusqu'à présent évitée pour des raisons de préférence. J'ai toujours considéré l'homosexualité comme une orientation naturelle, et fidèle à moi-même, je dis à mon pote que c'est « cool [qu'il] se sente heureux dans sa sexualité ». Pourtant, pour la première fois de ma vie, je commence à douter des valeurs de liberté avec lesquelles je me suis construit.

Imbibé de pensée religieuse, et de l'épisode biblique et coranique de Sodome et Gomorrhe, quelque chose en moi murmure in petto : « Non, ce n'est pas normal, je t'encourage mais au fond de moi je sais que ce que tu fais n'est pas sain, tu es dans l'égarement, dans le péché. » Je m'imagine soudain comme une version islamique de Christine Boutin, parachutée dans une gay pride. Dans la continuité du judaïsme et du christianisme, l'écrasante majorité des théologiens musulmans tiennent l'homosexualité pour un péché, ou au moins un déséquilibre, bien que des voix extrêmement minoritaires affirment le contraire. Ce même islam dont la pratique me remplit de paix, m'obligerait-il, pour être cohérent, à rejeter mes principes ? Un profond malaise m'envahit. Suis-je en train de changer ?

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Je finis par mettre les voiles et je me rends à la Grande Mosquée, comme je l'ai initialement prévu. Tandis que je me prosterne face à La Mecque, front posé contre la moquette de la salle de prière, je retrouve mon calme. Je continue de prier jusqu'à l'aube, après quoi un imam vient annoncer la fermeture du lieu de culte. En sortant, je passe le salam à un jeune barbu vêtu d'un qamis, très certainement un salafiste. Il me toise avant de laisser échapper un rire vaguement méprisant, sans doute dû à mon style, qui contraste avec la religiosité de l'endroit. Mais finalement, le barbu me retourne la salutation, réalisant peut-être que, en dépit de l'habit incongru, un fidèle fréquentant la mosquée à quatre heures du matin mérite le respect. Ce bref instant de communication avec un être aux antipodes de ma personne me remplit de joie.

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Le lendemain, dans le train en direction de ma ville natale, je suis au wagon-bar où je regarde avec frustration les petits saucissons pur porc disposés sur le comptoir quand je me pose cette question : étant donné qu'à bord d'un véhicule en mouvement la direction de La Mecque change en permanence, comment accomplir la prière obligatoire ? La vie de musulman pratiquant est jalonnée de ce type de problèmes. Une simple recherche Google m'apprend qu'il est permis de remettre ses prières à plus tard dans de tels cas. Une information qui me sera utile au cours du road trip que je m'apprête à faire avec Ludovic, un pote récemment converti au bouddhisme.

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C'est avec ma mère au volant que nous voyageons jusqu'en Andalousie, point de départ dudit road trip. Sur la route, elle se plaint du nombre de Maghrébins – dont elle prétend reconnaître les automobiles au « monticule de bagages attachés sur le capot » – qui retournent au bled l'été venu, avant de décréter arbitrairement qu'il y a « trop d'immigrés en France ». J'échange quelques regards gênés avec Ludo. Contrairement à ma mère, il est au courant de mon expérience islamique. Plus tard, ma mère me tiendra également ce discours : « Si j'ai fini par accepter que mes enfants puissent être gays, je ne pourrai jamais m'y faire s'ils devenaient musulmans. »

Continuer de pratiquer la religion pendant le road trip s'avère un parcours du combattant. Comme je n'ose pas prier devant les gens qui partagent notre dortoir, j'attends que celui-ci soit vide et je demande à Ludo de monter la garde à l'entrée, histoire de m'alerter si quelqu'un arrive. Un jour, la combine échoue et un type fait irruption dans la chambre à l'instant précis où, mains levées, je prononce « Allahu Akbar » sur mon tapis de prière au beau milieu de la pièce. L'expression de crainte sur son visage, avant de faire mine de n'avoir rien vu, marquera longtemps ma mémoire.

Je comprends alors quelque chose : en Europe, la peur de l'islam est si généralisée qu'elle conduit souvent le musulman à choisir entre renoncement à sa pratique religieuse et repli communautaire. À quoi bon chercher à s'intégrer dans des milieux non musulmans si votre identité islamique provoque sinon le rejet, au moins la suspicion ?

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Une après-midi à Séville, la batterie de mon iPhone se décharge et je ne peux plus utiliser Musllim Pro, l'application qui indique la direction de la Qibla et les horaires de prière selon votre géolocalisation. Pris de panique, je me mets à arrêter tous les passants pour qu'ils me donnent la direction de La Mecque. Louper une prière suscite un sentiment de culpabilité doublé d'une angoissante sensation de manque, tant la plénitude et le bien-être octroyés par le rituel sont grands. Ludo me compare à un drogué en manque de dope. Et il a raison. Lorsque Marx a écrit que « la religion est l'opium du peuple », il ne se doutait pas que ceci se vérifiait au-delà de la métaphore. Une scientifique suédoise a démontré que la foi, anxiolytique puissant, était à même de sécréter un important taux de sérotonine dans le cerveau humain.

La came de Ludo, c'est la méditation zen. Lui bouddhiste et moi musulman, nous débattons sur les différences et similitudes entre nos religions respectives. Si nous tombons d'accord sur le fait que l'ego est un obstacle à la réalisation spirituelle, nous divergeons sur la question de l'existence de Dieu. Plus tard, il me confiera : « Un jour, je te disais que je ne croyais pas en Dieu, et toi, tu as vraiment insisté, me montrant à quel point j'étais un kafir (mécréant). Tes yeux étaient chargés de haine. »

Je ne me souviens pas d'avoir été haineux. J'avoue néanmoins que parfois, je me faisais peur tout seul, comme cette fois où, contemplant l'architecture mauresque des villes andalouses, je me surprenais à rêver d'une glorieuse reconquête musulmane de cette terre tombée au Moyen-Âge aux mains des chrétiens.

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Les jours qui suivent, je délaisse peu à peu la prière, m'autorise à boire du vin et même à déguster du jambon espagnol. Les contraintes, certaines valeurs et autres détails ridicules finissent par l'emporter sur mon entêtement à devenir musulman.

Au terme du road trip, nous retournons à la station balnéaire où ma mère passe ses vacances avec son mec et les filles de ce dernier. Sur la plage, ces dernières se mettent topless, ce qui me met une nouvelle fois dans une position inconfortable et schizophrénique vis-à-vis de la religion. Mon entourage et moi-même n'avons jamais eu de problème concernant la nudité ; un corps nu n'est pas lié à une notion de dépravation pour moi, comme c'est le cas dans la religion. Mais l'islam parle de « fornication par les yeux » et commande aux hommes de baisser le regard devant une femme non voilée. La plupart des musulmans à qui j'ai parlé considéraient notamment le naturisme comme une abomination.

Je repense alors à une conversation que j'ai eue sur Facebook avec une fille en niqab. Elle me soutenait que si j'hésitais à me convertir, c'était par crainte que l'islam me change ; or, disait-elle, il ne me changerait pas mais me « rendrait meilleur ». Mais serais-je un mec meilleur avec ma famille et mes proches si je les empêchais de se défaire d'un bout de tissu pour faire dorer leur corps au soleil ? Ou si j'allais dans une soirée techno ? Je serais surtout très con. Je me couperais d'un moment de sociabilité, je ferais peur à mes proches qui verraient là des « signes de radicalisation », j'accumulerais probablement des frustrations et cela me rendrait insupportable. Et surtout, je ne serais plus moi-même. Évidemment, si j'avais baigné dans une culture musulmane depuis l'enfance, je n'aurais pas eu un tel cas de conscience.

Photo via Flickr.

Les jours qui suivent, je délaisse peu à peu la prière, m'autorise à boire du vin et même à déguster du jambon espagnol. Les contraintes, certaines valeurs et autres détails ridicules finissent par l'emporter sur mon entêtement à devenir musulman. Sérieusement, comment adhérer à quelque chose qui vous dit que vous devez interrompre votre prière si vous lâchez un pet ? Impossible pour moi de m'épanouir dans une logique binaire du monde, divisée entre haram et halal.

Un soir, alors que je n'ai pratiquement pas écouté de musique depuis des semaines, Ludovic passe un live de Kraftwerk dans l'appartement où nous séjournons. C'est alors que je me mets à danser comme je l'ai rarement fait, entrant seul dans une sorte de transe frénétique. C'est comme si mon corps entravé par les contraintes religieuses se débarrassait soudain de ses chaînes. C'est un grand moment de libération.

Comme je n'ai jamais prononcé publiquement la profession de foi qui officialise ma conversion à l'islam, techniquement, je ne suis pas un apostat. Il ne s'agit pas d'une trahison. Et avec un peu de chance, je ne risquerai pas non plus la peine de mort en Arabie Saoudite, où renier l'islam est passible de décapitation au sabre.

Le fait que je renonce à devenir musulman ne veut, bien entendu, pas dire que je deviens islamophobe. J'ai découvert des trésors spirituels dans cette religion magnifique. Plusieurs mois après cette expérience, il m'arrive encore de ressentir le besoin de réaliser la salât. Il a toutefois fallu de longues semaines pour que le sentiment de culpabilité suivant l'arrêt de la pratique ne s'estompe.

Même s'il existe en islam des voix progressistes qui peinent à se faire entendre, comme celle de Abdennour Bidar (ce philosophe déplore que la vision officielle de l'islam ne reconnaisse pas ceux qui souhaitent choisir leur propre islam), je trouve qu'il serait malhonnête de ma part de faire du bricolage religieux, de l' islam à la carte, en gardant ce qui me convient et en excluant ce que je juge mauvais. Je préfère finalement reconnaître que cette voie n'est pas pour moi, plutôt que de ne l'emprunter qu'à moitié. Je ne juge pas pour autant ceux qui arrivent à négocier avec leur foi tout en étant en paix avec eux-mêmes. Mais personnellement, c'est trop dur. C'est presque de l'histoire ancienne, désormais.

« Allah guide qui il veut », disent souvent les musulmans. Et il n'est pas improbable que le jour où je me lasserai de ma vie d'aujourd'hui, je revienne danser avec l'islam, inch' Allah.

*Tous les noms ont été modifiés.

Louis est joignable par e-mail.