Le guide accéléré de Depeche Mode avec Depeche Mode

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Le guide accéléré de Depeche Mode avec Depeche Mode

À l'occasion de la sortie de leur 14ème album, « Spirit », nous sommes revenus avec Martin Gore et Andrew Fletcher sur les moments-clés du parcours du groupe, entre drames, émeutes, déclarations absurdes et nouveaux départs.

Même si - par un inexplicable tour de bonneteau - vous avez réussi à ne jamais écouter un seul titre de Depeche Mode, il y a de fortes chances que vous sachiez tout de même qu'il s'agit d'un des groupes les plus importants de ces 35 dernières années et une des formations pionnières de la pop électronique et de la techno (demandez un peu à Juan Atkins ou Derrick May pour voir). Et même si vous n'avez jamais écouté un seul titre de Depeche Mode, il est fort probable que vous en ayez déjà entendu quelques-uns - que ce soit le tube synthpop « Just Can't Get Enough » ou le sombre et rétro-futuriste « Personal Jesus » (dont vous connaissez peut-être la reprise dépouillée qu'en a fait Johnny Cash, ou celle, accélérée et outrancière, de Marylin Manson). Vous vous êtes même probablement retrouvés, comme ça a été un jour mon cas, en train de marmonner les paroles de « Enjoy The Silence » sans vous en rendre compte. Il est possible que vous ayez un jour chanté les paroles de « It's No Good » sans réaliser à quel point elles sont glauques et flippantes. Vous reconnaissez sûrement le timbre de la voix de Dave Gahan, même sans connaître son nom. Tout ça parce que Depeche Mode font partie des groupes qui transcendent leur style, leur origine et leur époque.

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Depuis leur formation en 1980, alors qu'ils étaient encore ados, leur pop/rock synthétique aux accents mélancoliques a non seulement élargi l'horizon global de la musique, mais leur a également permis de vendre plus de 100 millions d'albums. Depuis 37 ans, le groupe, réduit à un trio composé de Dave Gahan, d'Andy « Fletch » Fletcher et du songwriter principal Martin Gore, n'a jamais cessé d'évoluer, en dépit des inévitables pressions générées par le succès et l'argent. À l'occasion de la sortie de leur nouvel album (le 14ème !), Spirit, produit par James Ford, de Simian Mobile Disco, nous sommes revenus avec Gore et Fletcher sur les moments-clés de leur parcours passé, présent et futur.

Le jour où est sorti Spirit, l'album le plus politique de la carrière du groupe

Commençons par le présent. Le premier single tiré de Spirit s'appelle « Where's The Revolution ? ». Même si la majorité des morceaux ont été enregistrés avant que Trump ne soit élu, le disque prend clairement position contre la situation actuelle aux États-Unis – où Gore et Gahan ont vécu pendant des années, respectivement à New York et Santa Barbara – mais aussi en Angleterre, lieu de résidence de Fletch. « Ce qui est assez intéressant », constate Fletch, « c'est que les morceaux ont été écrits il y a quelques années ; ce n'est pas comme si Trump avait été élu et qu'on s'était vite mis à griffonner quelques textes en vitesse. »

« Je pense que ça fait un bon moment que le monde part en couilles » ajoute Gore, « mais d'une certaine manière, l'album n'aurait pas pu mieux tomber… Mais il s'est passé tellement de choses épouvantables ces dernières années ; je pense que ce disque aurait eu du sens, même si quelqu'un d'autre avait remporté l'élection, ou s'il était sorti il y a six mois. La situation en Syrie ne s'améliore pas, et tout le Moyen-Orient s'est effondré. Je mets un peu ça sur le dos de Bush, d'avoir éliminé Saddam Hussein – je sais que Saddam était l'homme à abattre, mais laisser un vide en Irak, ce n'était pas la chose à faire. La région entière est plongée dans le chaos, et c'est ça qui est à l'origine de la crise des réfugiés. Et ici, il s'est passé quoi depuis le mouvement des droits civiques ? Pas grand chose, franchement. C'est de pire en pire. »

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« Pendant la période d'écriture de l'album, des Noirs se faisaient abattre toutes les semaines. On en est arrivé à un point où on avait l'impression que chaque semaine, quelqu'un d'autre se faisait descendre, et à chaque fois il y avait une vidéo qui montrait la victime les mains en l'air. Et c'est le gigantesque fossé qui sépare les riches et les pauvres dans ce pays – et partout ailleurs, mais surtout dans ce pays, en ce moment – qui est à l'origine de beaucoup de ces problèmes. »

Ceci-dit, Gore insiste sur le fait que le groupe ne cherche pas à se faire voix de la résistance. « Pour ma part, je pense que l'album cherche vraiment à montrer aux gens qu'on s'est perdus quelque part, et qu'il faut se ressaisir » explique-t-il. « On ne fait pas de politique, mais on veut pousser les gens à réfléchir. L'album est vraiment tombé à pic pour aiguiller un peu les gens. C'est toujours la grande question : la musique peut elle vraiment peser dans la balance ? Je ne sais pas si on pourra un jour y répondre autrement qu'en disant qu'on peut aider les gens à réfléchir. Je ne m'attends pas à ce que tous nos fans se mettent d'un coup à partager nos opinions. Mais on a clairement des fans assez tarés, et si on peut les motiver et les pousser à réfléchir… »

Le jour où on a voulu faire de Depeche Mode « le groupe officiel de l'alt-right »

On se posait le mois dernier la question de savoir si Depeche Mode étaient vraiment de gauche. On a désormais la réponse. Quelques semaines avant la parution de Spirit, Richard Spencer, suprémaciste blanc bien connu de YouTube avait déclaré que Depeche Mode était « le groupe officiel de l'extrême droite ». La réaction de Gahan a été extrêmement frontale (mais justifiée), : il a aussitôt traité Spencer de « gros connard » dans une interview pour Billboard. Gore est tout aussi déconcerté par la déclaration de Spencer, mais légèrement plus courtois dans le choix de ses termes. « Clairement, c'est un fou », explique-t-il. « Je pense que ce n'est pas plus compliqué que ça. Il se dit grand fan de Depeche Mode, très bien – s'il veut être fan de Depeche Mode, ça le regarde – mais j'ai bien précisé dans une récente interview qu'à l'âge de 31 ans, j'ai découvert que mon père biologique était Noir. Maintenant, s'il lit ça, est-ce qu'il va rester fan du groupe ? Question intéressante. »

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Le jour où Vince Clarke s'est barré et a failli tout faire capoter dès le début

La musique de Depeche Mode est aujourd'hui réputée et appréciée pour sa noirceur mélancolique, soit à peu près tout ce qu'elle n'était pas à l'origine, où le groupe, composé de quatre personnes, était mené par Vince Clarke et donnait dans une synth-pop légère. Principal songwriter de Depeche Mode, Clarke a quitté le groupe en 1981, un mois après la sortie de leur premier album Speak & Spell, pour former Erasure. Au lieu de chercher à le replacer, Gore décida d'assumer la responsabilité du songwriting pour l'album suivant, A Broken Frame, paru en 1982.

« Le songwriter principal s'était barré » se souvient Fletch. « Pour la plupart des groupes, ça aurait été un gros coup dur, mais nous ne l'avons pas vu comme ça. Ça impliquait juste que Martin allait devoir s'occuper de l'écriture ! C'était intéressant, parce qu'on trouve des morceaux qui laissent entrevoir ce qui allait suivre, pendant que l'autre moitié de l'album essaie encore de coller à ce truc pop mis en place sur Speak & Spell. Ça a vraiment été un album de transition. Certains morceaux avaient été écrits par Martin quand il avait 15 ans, mais les autres donnaient vraiment une idée de ce que Depeche Mode allait devenir. »

Gore ajoute : « Vince a quitté le groupe avant de nous prévenir qu'il partait. On est juste retourné en studio et continué à faire notre truc. On n'a pas réfléchi. »

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Le jour où Depeche Mode a sorti Construction Time Again, que le groupe considère comme son premier véritable album

Gore, comme Fletch, considère le troisième album de Depeche Mode, Construction Time Again, sorti en août 1983, comme le véritable point de départ du groupe. Alan Wilder avait pris la place de Clarke aux synthés après l'enregistrement de A Broken Frame ; c'était donc la première fois que cette mouture de Depeche Mode – qui allait durer une décennie entière, jusqu'au départ de Wilder, en 1995 – écrivait un album ensemble. Mais ce n'est pas la seule raison invoquée. « C'est vraiment le premier album de Depeche Mode » explique Fletch. « Et il correspondait avec une période de grandes innovations technologiques. C'était le début des samplers, ce qui était fantastique, et puis c'était vraiment la première fois que Martin écrivait des chansons spécifiquement pour un album. Ça le rend particulièrement spécial. »

Le jour où Depeche Mode sont devenu des méga-stars aux USA grâce à… une émeute dans un magasin de disques

Le groupe était déjà important lorsque leur sixième album, Music for the Masses, est sorti en 1987 ; mais ce disque en a fait des stars colossales. Le 101ème concert de la tournée de l'album, qui a eu lieu le 18 juin 1988 au Rose Bowl de Pasadena, en Californie, devant 65 000 personnes, a été immortalisé par le réalisateur D.A. Pennebaker et est toujours considéré comme une des meilleures performances de l'histoire du groupe. Mais le vrai tournant de la carrière de Depeche Mode aux États-Unis n'a pas été ce concert, mais une…séance de dédicaces qui a eu lieu trois ans plus tard, en 1990, à Los Angeles.

« On avait déjà pas mal de succès, mais on n'avait pas encore dépassé les bornes en Amérique », explique Gore. « Ce jour-là, on a donné une séance de dédicaces au magasin Wherehouse Records, à L.A, et ça a dégénéré en émeute quand la police est intervenue pour stopper la séance. C'est passé à la télé nationale. On était bien avant les réseaux sociaux et Internet, quand un truc passait à la télé nationale, c'est que c'était GROS. »

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Le jour où sont sortis Violator et Songs of Faith and Devotion, les deux albums de référence du groupe

« Pour les gens qui découvrent Depeche Mode », explique Gore, « je pense que je leur conseillerais de commencer par Violator et Songs Of Faith and Devotion. J'imagine que c'est ce qu'on considère généralement comme les deux sommets de notre carrière. »

« Violator est un album parfait », approuve Fletch. « Je le pense encore aujourd'hui. Il avait tout ce qu'il faut. Toutes les chansons étaient géniales, et le son était mortel. Il a été mixé par François Kevorkian, et produit par Flood – les deux meilleurs. Tout y est – on était vraiment au-dessus de tout. Songs… était un peu étrange, parce que Dave vivait en Californie et était à fond dans la scène grunge. Et il nous a persuadé de ne pas faire un Violator 2, mais un Songs of Faith and Devotion 1, beaucoup plus rock. On aurait facilement pu faire Violator 2. Mais faire un album complètement différent et que, je crois, personne n'attendait, a été une excellent idée – et les morceaux étaient vraiment solides. »

Le jour où est sorti Ultra, l'album qui a failli les tuer

En avril 1997, Depeche Mode sortent Ultra, leur neuvième album. Ce qui a failli ne jamais arriver. Wilder avait quitté le groupe deux ans auparavant, et Gahan avait passé plusieurs années à se débattre avec ses problèmes de drogue, avant de finir par frôler la mort par overdose d'héroïne et de cocaïne, en 1996. Mais il y a survécu - et le groupe aussi. Vingt ans plus tard, ils restent tous très attachés à cet album, et le fait qu'il représente une forme de triomphe sur l'adversité n'y est pas pour rien. « C'est un de mes préférés », déclare Fletch. « C'est un album qui a failli ne pas voir le jour. On est allés à New York pour enregistrer les voix de Dave, pendant 6 semaines, et à la fin de la session, on n'avait rien. Martin et moi, on se disait 'Mais qu'est-ce qu'on va faire ? Est-ce que le groupe va finir comme ça ?' Et puis Dave s'est fait arrêter, Dieu merci, il a fait une overdose et s'est repris en main, et on a réussi à faire Ultra. Ça a été une telle joie de finir par sortir cet album. Je le trouve très beau. »

« J'adore vraiment ce disque », acquiesce Gore, « et c'est clair qu'il est assez noir, parce que le groupe a failli s'arrêter là. Aucun d'entre nous n'était vraiment en bonne santé à cette période, mais ce genre d'états peuvent parfois receler un grand potentiel artistique. »

Le jour où ils rejoueront dans un stade anglais après 23 ans d'absence

Le 3 juin 2017, le groupe donnera son premier concert dans un stade en Angleterre depuis 1994. À part quelques angoisses mineurs liées à la taille de l'endroit, tout se passe comme sur des roulettes…pour l'instant. « On craignait de mettre les places en vente et qu'elles ne partent pas » reconnaît Fletch, « mais on est rassurés maintenant qu'on a écoulé tous les billets. C'est étrange de se dire que c'est dans notre propre pays, où l'on a vécu, qu'on est le moins connus, ce que je trouve agréable, perso, parce que ça veut dire que je peux me balader tranquillement dans la rue ! Mais je pense que les gens vont venir de partout en Europe pour ce concert. On pourrait avoir l'impression que le Brexit n'a pas eu lieu, comme avant. »