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Music

Le label Invisible City réédite le meilleur du Zamrock

Si vous n'avez jamais écouté d'afro-funk Zambien, c'est le moment.

En musique comme ailleurs, les gens sont irrémédiablement attirés par les histoires désespérées qui se finissent bien. À croire que ce genre de miracles nous aide à nous sentir mieux. Stephen Encinas, producteur de Trinidad, a sorti en 1979 le titre « Disco Illusion », une belle contribution à l'euphorie boule à facettes de l'époque, qui fut rapidement suivie par son premier 45 tours. Emanuel Jagari Chanda était quant à lui le leader de WITCH (pour « We Intend To Cause Havoc »), l'un des groupes phares du Zamrock, mouvement musical apparu en Zambie dans les années 70.

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« Disco Illusion » est pourtant toujours resté dans l'ombre de son prédécesseur, « Rock A Bye Baby Love », considéré comme l'un des plus gros tubes pop de la Trinité, et a fini par sombrer dans les limbes de l'oubli. Seuls les mélomanes trinidadiens s'en souviennent encore. Et alors que Chanda connaîtra une carrière florissante avec WITCH, la Zambie, en proie à un climat politique délétère ne laissera aucune chance au groupe. Aujourd'hui, Chanda travaille dans des mines de pierres précieuses et bon nombre de ses contemporains sont morts de l'épidémie de sida qui a ravagé le pays dans les années 80. Ils sont, avec son claviériste Patrick Mwondela, les seuls membres encore vivants de WITCH et deux des derniers survivants de la scène Zamrock.

Mais tout récemment, les vies d'Encinas et Chanda ont pris un nouveau tournant grâce à Brandon Hocura et Gary Abugan, les mecs derrière

Invisible City Editions

, un label basé à Toronto. Leur truc : la musique oubliée, hors des frontières nord-américaines, et les morceaux qui montrent une autre version de l'histoire de la musique moderne. Ils ont commencé leur entreprise de redécouverte en ressortant une cassette du pionnier de l'Italo-disco,

Beppe Loda

, datant de 1986. Hocura et Abugan ont ainsi réédité quelques-uns des meilleurs sons disco old-school, dance et rock, dont vous n'avez jamais entendu parler. Ce mois-ci, ils sortent une réédition du dernier album de WITCH, intitulé

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Kuomboka

et sorti en 1984, un disque dans lequel se mêlent Zamrock, funk Princier, et refrains façon Fleetwood Mac. Vous pouvez l'écouter en intégralité juste au-dessus.

On a échangé quelques e-mails avec Hocura et Abugan histoire d'en savoir un peu plus sur le Zamrock, sur le clubbing à Toronto et sur leurs troubles obsessionnels de

diggers.

Noisey : Comment vous êtes-vous rencontrés?

Brandon Hocura

: Dan Snaith [

de Caribou

] nous a présenté, Gary et moi – j'avais un groupe avec Dan au lycée. Il m'a parlé de ce type qui conduisait le van des Junior Boys et m'a dit qu'il fallait que je le rencontre parce qu'on avait les mêmes goûts musicaux. On a ensuite bouffé tous les trois ensemble, à Toronto, et ça m’a suffi pour avoir envie qu'on monte un label.

C’était quoi le but d’Invisible City au début ?

BH

: Notre mission de départ était d'investir l'argent qu'on gagnait en tant que DJs dans un label. On trouvait tellement de disques incroyables, on se disait qu'il fallait qu'on les sorte.

La scène club de Toronto a-t-elle changée depuis ?

Gary Abugan

: J'avais de la chance, d'avoir un pote au lycée qui nous conduisait en soirée dans les années 80 et 90. Tu ne pouvais entendre cette musique que sur des mixtapes que tes potes achetaient à New-York, Détroit ou directement en boîte. T’étais

obligé

de sortir pour entendre du nouveau son. On sortait et on absorbait tout ce qu'on pouvait. C'est triste, mais maintenant, tous ces endroits ont disparu et les entrepôts ont été transformés en lofts. Le seul endroit où on pouvait écouter

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ce

son, c'était en boîte, du coup ça forçait les gens à sortir et à socialiser. Maintenant, les gens veulent prendre des photos pour les poster sur les réseaux sociaux plutôt que simplement danser, beaucoup d'énergie est gaspillée. Le pire, c'est que les DJ jouent tous les mêmes playlists rincées, zéro prise de risque. Les genre sortaient plus à l'époque, ce mélange assez dingue de gens venus de partout rendait tout ça bien plus amusant.

C’est la communauté caribéenne de Toronto qui vous a fait découvrir la musique de la Trinité ?

BH

: Tout à fait. C'est pratiquement impossible de passer à côté de la Soca quand tu vis ici. Au début, on jouait les archéologues dans les bacs de vinyles, et avec patience et les oreilles bien grandes ouvertes, la Soca a fini par nous ouvrir sur le monde incroyable de la musique de Trinidad.

Vous avez l'impression qu'on néglige la musique dance venue d'endroits comme les Caraïbes ou l'Afrique du Sud ?

BH

: Il y a une incroyable tradition de la musique dédiée à la danse partout dans le monde, c’est sûr, et oui, elle est malheureusement sous-estimée. On s'intéresse principalement aux trajectoires musicales inattendues : par exemple, qu'est-ce qui fait que la Lybie de la fin des années 70 était si branchée reggae ? Il y a quelque chose de vraiment fascinant dans la façon dont sonne le reggae libyen.

Quand avez-vous décidé de presser des vinyles ?

GA

: Un ami à nous a trouvé

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Michael Boothman

et lui a dit qu'on avait envie de rééditer son disque

Touch

. On a économisé assez pour que l'un d'entre nous puisse prendre un avion pour aller le rencontrer et presser le vinyle. À cette époque, un autre gros label lui avait fait une offre. Il a décidé de se tourner vers nous parce qu'on était une plus petite entreprise, qui venait tout juste de se lancer, et qu'il avait un bon feeling avec nous. On doit tout à Michael !

BH

: Le fait de voyager sans arrêt, de chercher des disques et des artistes, est devenu la signature du label. Plutôt que de rester assis passivement en face de nos ordinateurs, on préfère suer pour trouver de la musique. On s'investit énormément dans la recherche de ces disques, mais c'est un travail qu'on adore, même s'il se fait probablement au détriment de notre santé physique et mentale. Mais ça vaut vraiment la peine.

Où avez-vous entendu parler de WITCH ?

GA

: Un ami avait une émission sur une radio universitaire en 2003 et m'a raconté que le DJ avant lui avait passé une chanson afro-disco démente qui s'appelait « I'm Coming Back ». J'ai immédiatement été obsédé par le style.

Qu'est-ce qui vous fascine dans WITCH ?

BH

: WITCH nous fascinent parce qu'ils illustrent à merveille la trajectoire unique de la musique populaire zambienne. Plus que l'Afro-funk, les musiciens zambiens étaient obsédés par le rock psychédélique. WITCH se nourrissait de cette influence, mais les deux LP que nous allons sortir, eux, sont imprégnés de la radio FM américaine. À l'écoute, il est difficile de savoir si ces albums sont américains ou africains, parce qu'ils transcendent leurs influences pour offrir quelque chose d'unique. Leur histoire personnelle reflète aussi les problèmes socio-politiques auxquels la Zambie faisait face dans les années 70 et 80. Et puis Patrick Mwondela est l'une des personnes les plus inspirantes et optimistes avec qui il m'ait été donné de travailler.

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Quelles autres rééditions projetez-vous de sortir cette année?

BH

: On a d'autres disques de Trinidad qui vont arriver plus tard cette année, et on réédite également une série de 45 tours de l'artiste libyen

Ahmed Fakroun

. On sort aussi un 12" d'un artiste canado-haïtien et on prépare une compilation de musiciens caribéens qui vivent à Toronto – mais il se peut que ça ne sorte pas avant 2015.

GA

: Brandon et moi, on est également fous de films. On est en train de développer quelques projets géniaux à ce niveau.

Vous aimeriez modifier les canons musicaux existants ?

GA

: Oui, on en a clairement envie. On veut ouvrir la porte à toute cette musique qui a été négligée en raison de sa provenance géographique et de son manque de distribution. Ce qui nous intéresse, c'est le genre de musique iddue du mélange de tout un tas d'influences et de styles, de choses qui ne vont normalement pas ensemble, mais qui fonctionnent si bien que tu te retrouves au final avec quelque chose que tu as envie d'écouter, encore, encore et encore.

Vous pouvez commandez tous les disques d'Invisible City ici.