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J’étais dans le Thalys où un terroriste a failli tuer tout le monde

Voici ce à quoi l'on assiste lorsqu'un mec fou veut prendre d'assaut un train rempli de gens normaux.

Photo via Flickr

J'étais confortablement assis en voiture 18, en queue de train. J'avais pris l'un des voyages les moins chers de l'après-midi, c'est pourquoi autour de moi se présentait un mélange hétéroclite de familles nombreuses, de jeunes vacanciers qui voyagent pas cher et de mecs et nanas en transit entre Amsterdam et Paris pour une quelconque activité professionnelle. Le train a commencé à ralentir 15 grosses minutes avant d'arriver en gare d'Arras, dans le Pas-de-Calais. Il était autour de 18 heures, peut-être un peu plus tôt.

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Ce qui venait de se passer a par la suite été relayé partout : vendredi 21 août, un terroriste de nationalité marocaine, après avoir écouté des chants djihadistes, muni d'une kalachnikov et d'une quantité d'autres armes, venait d'être intercepté par quatre hommes, dont trois Américains, sous les yeux inquiets du comédien français Jean-Hugues Anglade, voyageant en voiture 11 – à proximité des voitures 12 et 13 où se produisaient les tristes événements.

De mon côté, je luttais avec ma 3G défectueuse et ce wifi merdique typique des trains Thalys. J'échangeais par SMS avec un pote en écoutant au walkman de la house filtrée, et me plaignais par téléphone interposé du manque de climatisation. Un enfant en bas âge assis à côté de moi devait visiblement composer avec de gros problèmes gastriques. Ceci, additionné a la clim' défectueuse, commençait à rendre le voyage délicat. En bref, tout était presque sinistre, donc tout à fait normal.

Jusqu'à ce que le père dudit gosse nous donne quelques éléments d'information. Selon ses dires, on venait de lui « bloquer l'accès au wagon-bar », là même où il souhaitait changer son gosse. Et c'est justement devant cet accès interdit que quelques infos venaient de filtrer, expliquant le ralentissement inopportun. Des voyageurs lui ont appris qu'un inconnu avait en effet « manifestement poursuivi un autre homme en faisant usage d'une arme à feu ».

Ce père de famille, trilingue, a traduit en anglais puis en néerlandais la triste nouvelle à l'ensemble du wagon 18. Quelques personnes sont descendues sur le quai, où un contrôleur leur a indiqué de quitter la voiture pour migrer vers la première rame. Au préalable, un autre contrôleur, qui savait ce qui venait de se produire mais n'avait pas voulu propager un vent de panique, était passé dans le wagon en lançant dans un anglais hésitant un triomphal « no soucy ! » Avec le recul, je trouve que cette démarche défonce.

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Bref, tout le monde a suivi les injonctions des sympathiques contrôleurs sans broncher, en se rencardant sur les prochaines correspondances. C'est en traversant le quai que j'ai vraiment commencé à halluciner. Devant nous s'étalait une confrérie de flics hyper costauds, accompagnés du personnel du Samu et de la figure pâle de Jean-Hugues Anglade sous perfusion, la main ensanglantée.

Mais plus loin, au-delà des voies, on distinguait aussi un mec sanglé dans un brancard avec une sale blessure à l'épaule ou au cou. C'était ce passager franco-américain qui a écopé d'une balle perdue, dont les jours ne sont aujourd'hui plus en danger.

Pendant ce temps, le personnel Thalys, en nombre et hyper calme – quoiqu'en dise cette pipe d'Anglade –, n'avait visiblement pas complètement pris mesure de l'événement puisque la plupart d'entre eux ont d'abord pensé que la rame de tête pourrait « peut-être nous ramener sur Paris ». Les voyageurs ont donc bougé leurs valises dans la première rame avec une solidarité sans équivoque : les jeunes laissaient leurs places assises aux personnes âgées, les bouteilles d'eau circulaient d'une voiture à l'autre. Certains se sont mis à traduire en espagnol et en anglais les infos parcellaires qui arrivaient jusqu'à nous.

Photo via Flickr

Puis j'ai vu certains touristes blêmir. Ça s'est passé en deux temps : ils ont d'abord pensé à l'incertitude qui entourait leur acheminement en direction de Paris, puis ont ensuite envisagé l'événement en tant que tel. Jusqu'à ce qu'on ait l'info de descendre les valises de la première rame. Au même moment, la police judiciaire débarquait sur les lieux et j'ai commencé à capter qu'ils allaient procéder au bouclage de la zone et à l'évacuation de la gare dans son ensemble. Et qu'on était donc bloqués à Arras pour un petit moment.

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On a donc zoné devant la gare et assisté à l'arrivée en trombe des premiers médias. D'abord BFM et iTélé, tous deux à la recherche de LA personne qui avait tout vu. Ma copine a entendu l'un des témoins oculaires : le mec avait vu le tireur avec sa Kalach et avait « d'abord pensé [qu'il s'agissait] d'un jouet ». Il a dû répéter la même histoire à peu près 25 fois en deux heures.

Le truc hallucinant, c'est cette forme de calme absolu qui émanait des quelque 550 voyageurs lorsqu'on a tous rejoint le gymnase, où nous nous apprêtions à passer les heures à venir. Littéralement, personne n'a rien revendiqué. Les portables commençaient pourtant à sonner, tandis que les gens captaient au fur et à mesure l'épaisseur de l'événement et s'inquiétaient pour leurs proches. Un seul mec a lancé un étonnant « je veux voir un représentant de l'État » aussi ridicule qu'inutile, n'entraînant personne dans sa consternation.

En fait, si tu filmes l'évacuation de la gare et l'attente dans le gymnase en faisant abstraction du fait que la moyenne d'âge des gens tournait autour des 40 ans, je pense que t'as un film de colonie de vacances.

Dans ma vie de tous les jours, le train est mon principal moyen de locomotion. Je le prends pour mes déplacements professionnels et personnels. En l'empruntant, j'ai assisté à un grand nombre de trucs débiles, comme des gamins qui renversaient du verre pilé sur les voies, espérant que le train déraille. Mais un attentat, ou du moins, une tentative d'attentat, je n'avais jamais vécu ça. Une attaque par balles en revanche, oui – mais pas dans un train. Deux mecs s'étaient fait démonter dans un bar du 14e arrondissement par un commando en voiture. J'étais passé devant le bar avec les mecs au sol en train de se vider de leur sang. C'était sur-chaud, parce que beaucoup plus hystérique que l'ambiance apaisée qui régnait en gare d'Arras.

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Car il faut le souligner : c'est clairement le personnel du Thalys qui a joué ce rôle-là. Ils se sont multipliés pour fluidifier les choses dès que nous avons mis les pieds dehors, sur le quai, puis hors de la gare. Certains mecs ont pris la parole, mais uniquement pour traduire les consignes de sécurité et le mode opératoire de la police une fois entrés dans le gymnase.

Les rapports sociaux au gymnase se sont plus ou moins établis dans un mode « club de rencontres amicales ». Si tu mets de côté les inévitables discussions sur le déroulement de la journée et les événements, certains échangeaient sur les derniers progrès techniques en termes de « denim de voyage », d'autres parlaient politique, et un grand nombre se demandait si leur billet de train allait être remboursé. Des trentenaires anglo-saxons ironisaient là-dessus en imaginant une carte de fidélité Thalys disposant d'un code utilisateur « terrorist attack » valable une seule fois pour un seul passager.

Je ne réalise que maintenant qu'il s'agit sans doute du miracle le plus random de l'histoire universelle des miracles. Un seul blessé, quatre passagers qui, sans armes, se jettent sur un assaillant surarmé, et évitent de fait un massacre qui aurait pu coûter la vie à des centaines d'innocents. Dans le wagon attaqué en premier, deux Marines américains en vacances hyper entraînés. Cet aspect « coup de chance » en tous points, c'est d'ailleurs ce que les héros eux-mêmes ont été les premiers à mettre en évidence.

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En fait, si tu filmes l'évacuation de la gare et l'attente dans le gymnase en faisant abstraction du fait que la moyenne d'âge des gens tournait autour des 40 ans, je pense que t'as un film de colonie de vacances. Il n'est pas étonnant d'ailleurs que les gamins présents s'amusaient à fond dans le gymnase ; certains grimpaient même au mur d'escalade. De ce que j'ai vu, je ne pense pas que les parents aient eu beaucoup de boulot à faire pour faire retomber la pression accumulée dans le cerveau de leurs enfants – le lendemain peut-être ? Le contrôle de police dans la nuit l'a confirmé, la grande majorité des personnes, comme moi, n'avait rien vu ni entendu.

Comme dans le gymnase je me tenais à l'écart des forces de police et de toute autre personne disposant d'une quelconque information utilisable, je n'ai appris ce qui s'était passé que tard dans la nuit. C'est un pote géographiquement bien plus éloigné qui me l'a révélé. Il m'a envoyé un SMS avec cette histoire selon laquelle ce serait en réalité d'authentiques Marines qui nous auraient sauvés – j'y ai cru à moitié. La batterie de mon téléphone a fini par lâcher. Ce sont deux journalistes de l'AFP qui m'ont donné la version officielle des événements sur les coups des deux heures du matin. S'en est ensuivi un échange de vannes sur le service fiction de Canal + et sa probable capacité à donner les moyens à ses acteurs – Anglade, en particulier – de gérer ce genre de situations.

Je n'ai pas vu de voyageurs se transformer en héros responsables ou dilettantes irresponsables en réaction à ces événements. Passé minuit, les gens se demandaient surtout où ils allaient dormir cette nuit. Le contrôle de police fut la dernière étape, puis on est tous remontés dans un train en direction de Paris. Au final, trois trains sont successivement partis avec à leur bord des gens rassurés de ne pas dormir dans ce gymnase sordide et d'avoir un taxi plus une réservation à l'hôtel tous frais payés à leur arrivée à Gare du Nord.

Cinq jours après les faits, force est de reconnaître que tout roule. C'est comme connaître la fin d'un film qui dure trop longtemps sans l'avoir vu. Le plus chiant en fait, c'est de devoir être obligé de le raconter à ton tour à des gens qui ne l'ont pas vu. Soit exactement ce que je viens de faire. Y'a un côté poseur, si l'on veut. La seule leçon à en tirer, c'est celle que le hasard continue de tout dominer autour de nous ; c'est lui qui a ordonné aux trois Américains de ne pas monter en voiture 17 comme c'était prévu au début.

Nicolas est sur Twitter.