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Musique

Earl est libre !

Comme la plupart des ados attardés de ce pays, j'ai décidé de me tirer de ma ville pour le Spring Break. De toutes les destinations possibles, LA semblait être la meilleure option pour moi

Illustration : Scott Valline 

Comme la plupart des ados attardés de ce pays, j'ai décidé de me tirer de ma ville pour le Spring Break. De toutes les destinations possibles, LA semblait être la meilleure option pour moi – essentiellement parce qu'il s'agit de l'inverse de Salt Lake City. Un beau matin, j'ai émergé de mon sommeil dans une piaule sur le campus d'UCLA qui m'était inconnue alors que mon cerveau balançait des rimes de Earl dans mon crâne ; tout ça n'était rien d'autre qu'une gueule de bois infusée aux beats et punchlines entendues la nuit précédente. Je me suis mangé une banane, j’ai lacé mes converses et enfilé un de mes hoodies préférés des Atlanta Braves – tenue qu'un membre des Odd Future aurait sûrement complimenté, au moins dans mon cerveau – pour enfin me traîner hors de la pièce. Ma quête avait enfin débuté. Durant ce voyage initiatique, je n'ai utilisé aucune carte de la région ni le moindre GPS. Je ne savais pas où je devais aller – et où j'allais en général. Tout ce dont je disposais c'était les tweets que Earl avait posté la veille et que j'avais sauvegardé sur mon portable au cas où mon cerveau me lâcherait à un moment de la journée. Earl avait balancé une offre alléchante que j'étais bien décidé à saisir. Son tweet ressemblait à ça « Yo, si vous êtes à LA ramenez-vous au 7-11, au croisement de Olympic Boulevard et de Barrington Avenue pour m'acheter ce pull et me rencontrer. J'ai besoin de biff pour manger. J'y serai vers 15 heures. » Mon cœur s'est emballé. Mon rappeur préféré vivant, celui dont je n'avais pas eu de nouvelles depuis plus d'un an était de retour. On pouvait même aller le rencontrer et lui acheter des fringues pour qu'il puisse se payer sa bouffe. Quelques minutes après avoir atterri dans le centre de LA, j'ai continué à frénétiquement mater le Twitter de Earl. Il avait écrit « Retour à la case départ. Ce truc est toujours à vendre. À demain peut-être, RDV au Stoner. » Personne n'avait voulu du top de Earl, ce qui était un peu triste – mais dans mon cas, je prenais ça comme une aubaine. Le destin m'offrait une nouvelle chance de pouvoir le choper. Son tweet énigmatique m'a fait recherché sur Google le mot « LA Stoner ». En plus d’une leçon sur toute la sous-culture gravitant autour de la weed, ma recherche m'a dirigé vers un skate park près de Santa Monica, à juste quelques bornes de la piaule de mon pote d'UCLA. Ça valait la peine d'essayer. J'ai quitté ma piaule et me suis mis à marcher. Cette balade s'est transformée en footing qui s'est ensuite métamorphosé en voyage en bus à travers la ville. En quelques secondes, j'étais arrivé au Stoner Skate Park. J'ai posé mon cul sur un banc en essayant tant bien que mal de dissimuler le fait que je m'étais pointé sans skate. J'étais juste là à attendre, je vérifiais toutes les minutes les tweets de Earl lorsqu'un nouveau est soudain apparu sur mon écran : « On glande dans notre caisse vers l'ouest. On essaie toujours de vendre ce putain de pull. On va peut-être se faire un Fatburger dans Westwood, les frères ! » Putain Westwood ?! C'est quoi cette merde, Earl ? C'est justement là d'où je viens ! Je me suis dis que ça ne servait à rien de bouger du park après tout ; cet enfoiré pouvait toujours passer après son burger. Après une minute d'attente qui ressemblait étrangement à une heure, un nouveau tweet est venu m'en apprendre plus : « On se fait un hamburger, les gros. Passez pour pécho le putain de pull et notre nouveau sticker. »
Je m'étais déjà barré du park. Putain, je courais comme si ma vie en dépendait. J'ai chopé le premier taxi que j'ai aperçu. 10 minutes plus tard, j'étais devant le Fatburger en question, et j'ai de suite repéré Earl devant un van rouge, le pull dans la main. J'ai gueulé « Earl ! Garde-moi le pull ! » J'ai ensuite vu de la thune dans une autre de ses mains. C'était trop tard, deux autres fans étaient passés avant moi. Je les reconnaissais : c'était les mêmes gonzes que j'avais vus attendre dans une camionnette au Stoner Park. J'ai baissé la tête en signe de défaite ; j'avais perdu. Je suis allé voir Earl pour lui dire que j'avais littéralement tapé un sprint pour le trouver, ce qui expliquait notamment le fait que je respirais beaucoup trop vite. Pour me consoler, il m'a filé deux nouveaux stickers. J'ai demandé si je pouvais le prendre en photo vite fait parce que j'avais réalisé à ce moment que c'était la seule façon de prouver à mes potes que je l'avais vraiment rencontré. Il a accepté. Il m'a serré la main et est retourné finir son burger avec ses potes. Alors que je m'apprêtais à me casser, je me suis arrêté dans mon élan pour demander à Earl « Je peux bouffer avec vous ? » Autant dire que je n'ai pas l'habitude de faire ce genre de trucs. Je ne suis jamais aussi direct – en particulier avec quelqu'un que je considère comme une quasi divinité. Il m'a simplement fait signe de venir. Après avoir pris la plus grosse inspiration de ma vie, je l'ai suivi. J'ai salué ses quatre potes – des mecs de terminale qui bouffaient encore leur déjeuner –, j'ai commandé ma bouffe pour ensuite m'affaler sur la banquette juste en face de Earl qui était déjà en train d'attaquer ses frites. La conversation tournait autour des trucs de lycéens classiques : meufs, université, exams, bouffe et rap. J'ai demandé aux autres où ils allaient étudier l'année suivante et leur ai fait savoir que je rentrais à NYU (l'Université de New York) pour y étudier le cinéma. J’espérais secrètement que Earl tilte et me demande si j'étais chaud pour filmer sa nouvelle vidéo – mais visiblement, tous vos rêves ne peuvent pas se réaliser au même moment. J'ai demandé à Earl où il comptait aller étudier, et il m'a répondu « À l'école de la rue. » J'ai explosé de rire, et la pluie de vannes ne faisait que commencer. Un groupe de vieux venait juste de rentrer dans le restaurant avec des cannes et Earl les a matés en sortant « Putain, voilà mes vrais fans. » La blague a ensuite été recyclée plusieurs fois avec un contingent de mômes en bas âge accompagnés de leurs mères.
Le repas s'est poursuivi. Mon pouls a finalement réussi à revenir à un rythme normal et avant de m'en rendre compte, mon burger avait disparu. J'ai proposé de payer des milkshakes à tout le crew, ce que Earl a tout de suite refusé en prétendant que « je valais mieux que ça. » C'était comme s'il ne voulait pas tirer profit de sa célébrité, ou peut-être qu'il n'a jamais réalisé à quel point les gens l'appréciaient. Avant de se lever de table, Earl m'a demandé de tweeter la photo de lui que j'avais prise en m'appelant (assez maladroitement) « mon mignon ». Je me suis joyeusement exécuté alors qu'il se préparait à décoller. J'ai pris quelques photos supplémentaires et lui ai demandé son autographe sur un de mes stickers. Il a signé « Jésus ». Je l'ai remercié en le checkant une dernière fois. Je lui ai dit que j'espérais le revoir au prochain concert d'Odd Future à Atlanta. Il m'a répondu qu'il ne pourrait pas être là, m'a fait un signe de la main pour me dire au revoir. Il était parti – il avait disparu, encore une fois. J'ai eu besoin de quelques instants pour réaliser ce qui m'était arrivé. Je venais juste de rencontrer Earl Sweatshirt – ce rappeur adolescent superstar qui s'était évaporé dans la nature au sommet de sa gloire. Je l'avais retrouvé. Je n'étais pas capable de faire autre chose que de sourire avec un air de débile. J'ai lentement flâné dans Westwood en faisant coucou dans la rue, en tenant la porte pour laisser sortir les gens des magasins et en essayant de prolonger le plus longtemps possible la jouissance procurée par ma rencontre avec le prodige invisible du rap des années 2000. Alors que je matais l'heure sur mon portable, un tweet est sorti de nul part : @earlxsweat avait retweeté ma photo. Une horde de followers a surgi – 70 au total, le lendemain matin. Tous ces mecs étaient des fans de Earl à qui je n’avais jamais parlé et qui souhaitaient me poser des questions sur mon expérience. Leurs tweets parlaient de la chance que j'avais eue, de mon étrange ressemblance avec Tyler Craven – un pote de Earl –  et du fait que mon pseudo twitter « @thefrajo » craignait salement. Alors bien sûr, rien de tout ça n'a changé le cours de mon existence. Je n'ai pas rencontré les autres membres d'Odd Future et Earl ne m'a pas demandé de tourner sa nouvelle vidéo. Je suis juste un autre petit cul blanc middle class fan de Earl qui croît que sa musique résonne profondément dans la culture de sa génération. Amen.