Salut c'est cool
Musique

cinq ans plus tard, salut c’est (toujours plus) cool

Le groupe tricolore le plus loufoque de France revenait cet été avec son électro décalée et poétique sur le label du producteur Jacques : on ne pouvait rêver meilleure association en matière de pop siphonnée.

L’après-midi de notre entretien, prévu le jour de leur concert parisien, les quatre ne sont que deux. L’autre moitié de Salut C’est Cool est en retard à cause des aléas de la SNCF. C’est la première nouvelle du jour : James Darle, Louis Donnot, Martin Gugger et Vadim Pigounides se sont retirés dans une maison à la campagne, à une trentaine de minutes de Toulouse. Mais n'allez pas croire qu'en se mettant au vert, le groupe y a perdu de ses couleurs. Bien au contraire.

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Après avoir généreusement répandu leurs productions sur internet, ils avaient conquis un joyeux bataillon de fans vite devenus dingos de leurs concerts en forme d'imprévisibles happenings. Depuis, les ex-étudiants en art ont beaucoup tourné, y compris dans les grands festivals, beaucoup composé et surtout, multiplié les expériences. Avant-dernière en date, la signature avec une major du disque qui a tourné court : les quatre ont fini par reprendre leur liberté au bout d’un album. Car sans liberté, plus de groupe, en tout cas dans sa forme actuelle - elle est le carburant de leur folie douce et de leur capacité à écrire des chansons portant sur un plat de cassoulet, un bout de bois ou un réfrigérateur comme le montre Maison, leur petit dernier. Ils y font le plein de balades dadaïstes, entrecoupées de quelques titres qui leur assureront le feu sur scène (« Ça sent la maison », « Visions », « Voilà »), comme si l’esprit chercheur du label Warp croisait l’absurdité des Monty Python ou que Mr Oizo avait composé les BO de Jacques Tati.

Maison inaugure un débarquement chez un autre doux dingue de la techno d’ici, Jacques avec son label Pain Surprises (Jabberwocky, Miel de Montagne, UTO…). Cinq ans après leur hit « Techno toujours pareil», la leur a bien évolué. Bienvenue dans cette nouvelle Maison dont Louis Donnot et Martin Gugger assurent la visite.

L’album sonne mieux moins brut que par le passé, comment avez-vous évolué ?

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Louis Donnot : Nous avons gardé exactement les mêmes moyens de production qu'avant, on continue de tout faire nous-mêmes, sur ordinateur. La seule différence, c’est qu’on a acheté des enceintes. C’est peut-être nous qui avons évolué en tirant la musique vers des sons différents. On s'est chargé de réaliser le mixage, seul le mastering a été confié à des spécialistes.
Martin Gugger : Finalement, il n’y a que nous qui avons changé.

En quoi ?

LD : Avec le temps, on apprend. À nous servir de certains logiciels, par exemple. Entre temps, nous avons aussi tous écouté des musiques différentes qui nous ont attiré vers d’autres types de mixage, des sons plus sophistiqués et moins bruts.

Sur Maison, on pense régulièrement à Kraftwerk pour l'art des comptines synthétiques et des sons électroniques qui vont à l’essentiel…

MG : Ça fait plaisir car c’est une de nos grandes sources d’inspiration. La chanson « Chasseur d’éclipses » est par exemple directement inspirée de Kraftwerk, en particulier dans le ton de la voix. À la base, on avait d’ailleurs appelé son fichier de travail « Les robots ».

Kraftwerk fait donc partie des artistes qui vous ont inspirés ?

LD : Kraftwerk est un cas particulier car c’est un groupe qu'on a toujours écouté. Nous n'avons pas découvert de musiques précises mais plutôt des styles, de la house tribale avec des tempos plus lents, des sons organiques mais aussi de la tech house, de la chanson française…
MG : On a eu une grosse période acid, on s’est aussi penché sur des pionniers du synthétiseur comme Claude Larson. Une fois qu’on a découvert l’essence même d’une musique, on se répand vers d’autres qui pourraient encore nous surprendre : un peu comme une plume avec de l’encre qui se répand sur un buvard. Et comme on est quatre, on peut partir dans plein de directions différentes.

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Sur Maison, il y a beaucoup plus de morceaux calmes qu'avant. C’était votre volonté ?
LD : Oui, on a essayé de réaliser un album à écouter plus facilement à la maison, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’on l’a appelé comme ça. On voulait instaurer la possibilité d’une écoute globale du disque. On s’est réécouté l’album Sur le thème des grandes découvertes et c’est vrai qu’il est difficile à avaler en entier, un peu criard. On voulait un truc plus doux.

Flavien Berger appartient à cette veine chanson électro, c’est dans cette logique que vous avez travaillé sur un duo avec lui ?

MG : Flavien est un ami, on se connait depuis longtemps, avant même qu’il ne fasse de la musique et on s’est toujours un peu tourné autour. Il fait partie de la maison, c'est un peu comme notre cousin musical. Du coup, on a fait une grosse cousinade et on l’a invité sur Maison.
LD : Nous n'avions pas prévu qu’il collabore à notre album, on s’est juste retrouvés au même endroit au même moment, chez Jacques. On faisait notre album, il est arrivé et voilà.
MG : Franchement, tu ne crois pas que c'est Jacques qui a manigancé tout ça ?
LD : Pas sûr… C’était aussi un moment où Flavien avait besoin de s’isoler.

Bon, on ne saura jamais. Vous n’avez donc pas enregistré dans votre nouvelle maison ?

LD : Non, mais on a effectivement déménagé, on vit tous dans une grande colocation. On est en train de construire un studio mais pour l’instant, chaque chambre est un studio potentiel, on a chacun notre paire d’enceintes et un micro dans notre chambre.

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Vous venez d’atterrir sur Pain Surprises, le label de Jacques. Comment ça s’est fait ?

MG : On connaissait aussi Jacques depuis longtemps, depuis le tout premier concert qu’il a donné pour la sortie de son premier EP, Tout est magnifique. On s’est rencontrés ce jour-là, à une soirée Pain Surprises d’ailleurs.
LD : On a appris à se connaitre, on s’est revus et on a sympathisé. On avait les mêmes réflexions, la même envie d’appréhender les choses.
MG : Ça nous a permis de faire des raccourcis dans les pensées, les paroles, de nous comprendre plus vite et d’aller à l’essentiel.

Comment vous-a-t-il aidés pour Maison ?

LD : Déjà, il était présent. Il a surtout été important pour nous permettre d'être en condition pour terminer l’album. Il était là dans les discussions, il nous a proposé des instrumentaux pour certains morceaux…
MG : Il nous a aidés à débloquer des textes. On était comme ça, dans un carré, où chacun voyait les quatre angles, et lui nous a apporté un cinquième point de vue.
LD : C’est bien d’avoir un point de vue extérieur, quelqu’un qui te tape sur l’épaule au bon moment.

Vos sources d’inspiration ont-elles changé ?

MG : Au fil du temps, oui, l’inspiration a changé si on compare aux tout premiers textes de nos débuts. On est un peu comme tous les artistes, inspirés par notre quotidien, si ce n’est que chacun en parle différemment.
LD : Notre inspiration reste vague à définir, elle peut venir de vraiment n’importe quoi pris dans notre quotidien.

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Comme par exemple le cassoulet, ça c’est depuis que vous habitez dans le Sud-Ouest ?

LD : Grave, ça vient d’une histoire qu’on a vraiment vécue.

Tout comme « Canon des peurs » ?

MG : Oui, nous avons tous eu peur à un moment.
LD : « Chasseur d’éclipses », c’est un peu une fiction.
MG : Pas tant que ça, c’est une activité du père de Vadim. L’expression « chasser les éclipses » peut aussi être prise comme une métaphore : trouver les moments rares qui durent une fraction de seconde, avec un avant, un après.

Vous faites souvent monter le public sur scène pendant vos concerts, c’est arrivé que ça finisse mal ?

MG : Ça finit toujours bien, les services de sécurité commencent à nous connaître, on se fait confiance. Parfois, en en retrouve même qui se souviennent de nous ! Ils savent qu’on est des gentils, qu’on ne veut pas faire de mal.

Vos concerts changent tout le temps ?

LD : Oui, on fait en fonction de ce qu’on trouve le soir même ou de ce qu’on a décidé de ramener - un caddie ou un barbecue par exemple. En ce moment, un ami nous accompagne sur scène et met en place un dispositif vidéo. Il filme nos actions en amont, les retransmet sur écran, ce qui nous permet de faire des choses que le public pourra voir, avec de la pâte à modeler, des petits objets qu’il trouve… Il en a une valise pleine.

Vous avez vous-même réalisé le clip de « On ne peut pas revenir en arrière », votre duo avec Flavien Berger. Louis, toi qui joue dans le film, c’était pas trop compliqué de tourner à l’envers ?

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LD : Si, ça nécessite une vraie réflexion avant de pouvoir manger une glace à l’envers. Il faut d’abord penser le geste à l’envers, c’est plutôt marrant : d’abord mâcher, puis lécher la glace, en prendre un peu et rester figé. C’est pour ça que j’ai parfois un peu le regard dans le vague car je pense aux gestes que je vais devoir faire.

Quel regard portez-vous sur tout ce qui se passe dans le paysage pop français ?

MG : Je suis content que d’autres aient envie de se saisir de micros, de caméras, de s’exprimer. J’ai l’impression que ça devient de plus en plus simple. Je n’aime pas tout ce qui se fait mais j’aime bien les initiatives.
LD : C’est aussi un des trucs qu’on revendique, une façon de dire que tout le monde peut le faire car on a commencé comme ça, sans grandes notions de musique. Ça montre que ce n’est pas obligatoire pour se lancer.

Un peu comme dans les autres formes d’art ?

MG : Oui ! C’est vrai qu’à l’école d’art, il y en avait toujours qui en critiquaient d’autres en disant qu’ils ne savaient pas peindre. Mais ça veut dire quoi, mal peindre ? Et mal chanter ou mal dessiner ? Avec des mouvements comme l’Art brut, je pensais qu’on était passés à autre chose. Ce genre de réflexion devrait être révolu.

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