Que signifie ce nouveau fétichisme gay – et hétéro – en faveur des chaussettes ?

En ces temps difficiles d'union nationale, le porno a plus que jamais valeur de refuge. Donc au lieu de parler ENCORE de liberté d'expression et des tragiques événements survenus à Charlie Hebdo début janvier, regardez vos chaussettes et répondez à cette question autrement plus philosophique : les aimez-vous au point de les garder quand vous faites l'amour ? Parce que ces chaussettes moi, j'en vois partout. Dans le porno donc, mais aussi ailleurs. Et de fait, je me demande s'il s'agit d'une tendance politique ou juste d'un nouveau délire sexuel sans conséquence.

Chez les gays, c'est la mode des chaussettes vintage de basket à rayures qui montent jusqu'au-dessous du genou, que l'on peut lire comme un revival du look clone des années 1970 et des rayures de couleurs franches – à ce titre, American Apparel ont été parmi les premiers à les ressortir (surtout pour les filles). À cela s'est ajouté un type de fétichisme très prononcé pour les pieds. Certains voudraient qu'on les sniffe ou qu'on les lèche, d'autres qu'on les lave avec du Woolite. Le foot fetish est une lucarne de marché importante de nos jours ; beaucoup de films porno se sont spécialisés dans ce délire. Personnellement, je n'y vois pas de mal même si c'est assez risible. En tout cas, il suffit de faire un tour sur Tumblr pour tomber sur tout un tas de mecs obsédés par les chaussettes de sport. Le mouvement « sket » est devenu à ce point important que certains hétéros s'y sont mis aussi.

Le truc étonnant, c'est qu'avant baiser en chaussettes était un truc absolument haram. Si vous vouliez que quelqu'un se moque de vous au pieu, il suffisait d'oublier d'enlever vos chaussettes. Chez les gays, c'était presque un crime. Depuis le milieu des années 1980, dans le porno américain, je n'ai jamais vu la moindre chaussette. Les règles du vivre ensemble dans le porno avaient décrété que c'était interdit. Aujourd'hui encore, le seul studio gay où l'on trouve des mecs à poil avec leurs chaussettes, c'est MenAtPlay, mais c'est surtout parce que ces mecs ont tout un délire Margin Call sur le fait de baiser avec leurs costards inabordables. Mais chez les femmes, apparemment, le fait qu'un mec garde ses chaussettes demeure un vrai no-no – le pire pour elles étant les chaussettes blanches. Men's Health a aussi récemment considéré que cela faisait partie des dix pires choses que l'on puisse faire au lit. Ce qui est objectivement vrai.

J'ai commencé à remarquer cette tendance il y a à peu près un an. Une scène porno avec un mec qui garde ses chaussettes alors qu'il est nu. Et puis un autre. Encore d'autres. Alors je suis allé sur internet et j'ai demandé à Google : Why do men keep their socks during sex ? Et là, je suis tombé sur toute une subculture. Puis j'ai compris que je n'étais pas le seul à me poser cette question, puisqu'il y a des milliers de femmes à travers le monde désemparées devant cette nouvelle imposition sexuelle. Les mêmes femmes ont noté un autre truc : que les hommes noirs avec lesquelles elles sortaient gardaient plus souvent leurs chaussettes que leurs homologues blancs. On y reviendra plus tard.

Pour avoir farfouillé sur divers forums féminins américains, j'ai déniché plusieurs raisons. La première est physiologique. Les hommes et les femmes sont plus performants lorsqu'ils n'ont pas froid aux pieds. Pour parvenir à l'orgasme, il vaut mieux garder ses chaussettes, c'est prouvé scientifiquement par des scans du cerveau. Selon une étude hollandaise, une femme aurait 30 % de chances supplémentaires d'obtenir un orgasme si elle n'a pas froid. C'est logique : ainsi, le sang ne perd pas son énergie à réchauffer ces parties très éloignées des zones érogènes traditionnelles. Pas de chauffage, pas de sexe.

La seconde raison serait historique. Un blog paru sur The Stranger rappelle qu'il s'agit d'une tradition porno remontant aux débuts de l'industrie pornographique. En effet, les premiers films porno étant illégaux, il fallait que les hommes puissent se rhabiller le plus rapidement possible si la police débarquait. C'est peut-être un mythe urbain, mais il est convaincant.

Plus prosaïquement, j'ajouterai que les studios porno ne sont pas vraiment des endroits où le sol est nettoyé à la javel tous les jours. Si l'on rechigne à choper une méchante mycose aux pieds, il vaut mieux se protéger en gardant ses chaussettes. Certains hommes pensent aussi qu'ils jouissent d'une « meilleure adhérence au sol lorsqu'ils ne sont pas pieds nus ».

Enfin, il ne faut pas oublier que les films porno sont tournés dans des endroits pas toujours très chauffés. Et que tout le monde n'a pas de jolis pieds. Bien que ce ne soit pas le détail morphologique le plus important dans la performance, je vous l'accorde. Sur plusieurs forums, la plupart des nanas disent en substance : « moi du moment qu'il assure, je m'en fous qu'il ait des chaussettes ou pas. » Word.

La troisième raison est sûrement la plus répandue. En effet, hormis les films de fétichistes des pieds, la très grande majorité des films actuels qui montrent des mecs en chaussettes, ce sont les films de thugs. Les mecs – Noirs et Latinos – qui jouent dedans sont parmi les plus performants du porno gay actuel. On les trouve surtout chez les studios ethniques comme RawStrokes, BreedItRaw, Taggaz, It'sGonnaHurt, Machofucker ou BiLatinMen. C'est d'ailleurs ce qui rend cette tendance vestimentaire très remarquée ; on parle ici de studios que des millions de personnes suivent. De fait, il suffit qu'un mec garde ses chaussettes dedans et tout le monde le voit.

Aussi, ces acteurs portent surtout des socquettes blanches ou noires. Vous avez parfois des scènes où les trois mecs portent ce type de socquettes. Je veux dire, c'est des fuckers de la mort et tous gardent leurs chaussettes. Il est donc tout à fait envisageable que des wannabe fuckers de la mort les imitent. Et créent une mode sans le vouloir.

Mais selon moi, ces films ne font pas figurer des mecs en chaussettes seulement pour contenter les fétichistes. Les chaussettes sont là parce que les mecs les portent, tout simplement ; c'est une forme de marque sociale, au même titre que les tatouages ou les bijoux. Ces socquettes sont génériques, sans couleur ni rayures, parce qu'elles sont aussi le signe de la position de ces hommes, tout en bas de l'échelle sociale. Elles sont le signe d'un porno alternatif, qui révèle beaucoup de détails de la vie des Noirs et Latinos gays aux États-Unis – soit dit passant, la population sexuelle la plus exposée au VIH, selon le CDC d'Atlanta.

Voilà donc où je veux en venir ; ce genre de détails, sans importance au premier abord, prouvent que le porno est aujourd'hui l'un des médias qui illustrent le mieux ce qui se passe au niveau socio-culturel, en Europe comme en Amérique. Bien mieux que la musique, par exemple. Après tout, Walt Whitman le disait déjà en 1986 : « Sex is the root of it all ».

Après avoir fondé et dirigé Magazine et Têtu, Didier a été le rédacteur en chef du site Minorités.org. Il est sur Twitter.