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Sports

Pourquoi le hooliganisme fait partie intégrante du football moderne

Désolé les gens sympas : les bagarres entre supporters sont certes "immondes" mais elles rappellent ce qu'est le foot.

Cet article a initialement été publié sur VICE.

Lire les mots de Vladimir, le supporter russe venu passer quelques jours à Marseille lors de l'Euro 2016, uniquement pour se foutre sur la gueule, m'a fait réaliser à quel point j'aimais le foot. Je comprends et souscrit à chacun des mots qu'il a tenus à l'AFP. « On est tous venus pour se cogner. Le jour du match, tous les Russes ont pris l'avion [pour la France], et il y avait environ 150 gars, les plus costauds. (…) Les Anglais disent toujours qu'ils sont les seuls hooligans. Nous sommes venus démontrer que les Anglais sont des fillettes. » C'est brut, c'est gratuit, c'est crétin. C'est l'équivalent du contenu d'un film d'horreur dans une quote de quatre phrases. Et évidemment, savoir que la plupart des lecteurs ont été consternés de lire ceci n'a fait qu'accentuer mon plaisir.

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Car comme chacun le sait, lors de la compétition, la ville de Marseille a été le théâtre de sinistres affrontements entre hooligans anglais et russes. Le bilan est de 35 blessés, dont sept hospitalisés. Ces bastons ont abouti sur l'arrestation de six supporters anglais et de 43 supporters russes. Mais malgré une grosse couverture médiatique de l'Euro et la prolifération "d'images choc" sorties des téléphones portables alentour, personne n'a vraiment été capable, de déterminer qui fout sur la gueule de qui, ni pourquoi. « Ils sont débiles », a-t-on entendu, en substance. Radios, télévisions, journaux, la France parle largement de ces bastons entre supporters, et s'insurge. L'ennemi juré de son football, un football qui n'a par ailleurs jamais existé : la figure du hooligan.

Selon les commentateurs, celui-ci est incontestablement un être vil et crapuleux. Hors du stade, ce grossier personnage a toujours une pinte de bière à la main, le poing américain dans l'autre. En tribune, c'est lui qui montre à chaque fois son buste nu et flasque alors même qu'il est dos au spectacle ; il est tatoué ; ses testicules sont remplis à ras bord de testostérone. Il est incontestablement dangereux. Et il faut dire que cet être décervelé, bruyant, vulgaire et souvent violent imaginé par l'opinion publique, n'a rien d'une fiction. Le hool existe. Il a été dans tous les stades. Et il s'agit bien de ce type qui accepte d'avaler des milliers de kilomètres et de dépenser plusieurs centaines d'euros afin, avant tout, de briser des arcades sourcilières et de perdre quelques dents. Ce qui est une activité pas franchement brillante, soit.

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À l'heure du football seulement envisagé sous le prisme de la performance – et non sous celui de la culture que celle-ci a pu créer –, le hool ne rentre, de fait, dans aucune case. C'est juste un pur hors la loi. Un déviant. Un mec "réactionnaire", situé à des années-lumière du gentil "spectateur" nouvelle génération, souhaité aujourd'hui par plus de 90 % des clubs européens de grand standing. Voire de Ligue 1. Car la France a fait le ménage depuis quelque temps, comme le fit en son temps la Prime minister Margaret Thatcher au Royaume-Uni. L'exemple de la transformation du Paris-Saint Germain et du public du Parc des princes en est le symbole le plus parlant. Mais il ne faut pas oublier les refontes des stades de Lille, Lyon, Bordeaux, Nice, et avant eux, Le Mans ou Grenoble. Tous ces clubs ont choisi délibérément de transformer leurs stades en autant de cathédrales vides de leurs éléments dissipés.

Le football est devenu, depuis au moins trois décennies, un immense produit mercantile. Dans celui-ci, 22 types devraient se borner à jouer une pièce sans saveur, applaudis par un public sans relief, attendant un signal de la part de la régie afin de faire grimper – raisonnablement – l'applaudimètre. Ces mêmes joueurs devraient être au mieux ovationnés, au pire sifflés. Il s'agit toujours d'un sport fantastique, bien sûr. Mais c'est aujourd'hui le triste spectacle auquel j'assiste depuis mon écran de télévision.

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Dans ce football nouveau et sympa, le hooligan a peu à peu disparu des radars. Le plan Leproux, du nom de l'ancien président du PSG, a purgé les tribunes du Parc des Princes de ses éléments les plus "problématiques" – en rendant aléatoire le placement des abonnés dans les tribunes Auteuil et Boulogne. Dans ce cadre, le CSP+ ou la figure du Footix – en gros, un type qui "adore le foot" mais n'y connaît pas grand-chose – est content. Rassuré, celui-ci se déplace – enfin ! – au stade en famille. Ou avec sa meuf. Au mieux, il consomme quelques goodies du club et prend quelques selfies. Au pire, il ouvre un livre à la mi-temps, quand il n'accompagne pas l'un de ses chiards aux toilettes. Le football tel qu'envisagé à la fin du XXe siècle, celui des films sur les hools anglais The Firm ou I.D., se meurt. Pendant ce temps, le nouveau profil-type du spectateur civilisé, est révéré.

Sauf qu'en réalité, ce n'est pas la question. Car si le hooligan ne rentre dans aucune case, il a souvent des orientations politiques difficiles à défendre et des motivations peu louables, mais il rappelle une chose essentielle : que le football, à l'image du monde autour de lui, est imparfait. Et c'est précisément ça qui est formidable. C'est ça qui en fait un pur objet de fascination.

Photo via Flickr.

De fait, il faut regarder deux minutes ce qu'est objectivement le football. C'est un sport rugueux joué sur une étendue de gazon entre deux cages de but, sur laquelle des âmes sont capables de mettre en danger leurs enveloppes corporelles au milieu d'une forêt de bras et de jambes, juste pour gagner. Les haters bas du front du foot ont raison : ces mecs sont bien en train de gagner des millions pour courir après un ballon. C'est super con, le foot. Et ce n'est surtout pas une affaire de jeunes gens bien sous tous rapports. Historiquement, le football a toujours vécu à travers ses morts, ses drames et ses affrontements. Sur le terrain, c'est la guerre. Le foot n'a jamais cessé de se nourrir du hooliganisme et de trouver en lui une béquille, immorale bien sûr, mais aussi excitante, pimentée. Vers où les joueurs se dirigent-ils après avoir marqué un but ? Du côté des virages. Là où les hools gueulent leur amour inconditionnel pour eux, les joueurs.

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Car si le hooliganisme n'a plus accès aux grandes arènes de ce monde, il n'a en revanche pas disparu. Il s'est simplement déplacé. Il a atterri là où les objectifs strictement mercantiles et les nombreuses règles "d'éthique" ne tracassent pas le football. En Angleterre, on en retrouve dans les matchs de sous-divisions professionnelles, ou en amateur. En Russie, les hools les plus durs sont sponsorisés par l'extrême droite. En France, la scène hool s'est mélangée comme un fond de grenadine qui après passage de l'eau, finit toujours par réapparaître au fond du verre.

Preuve que la poussière a été balayée certes, mais sous le tapis. Et puis n'oublions pas qu'il s'agit d'un phénomène minoritaire : certes on en fait volontiers un danger de masses, mais les hordes de hooligans, même celles dites "organisées" comme dans le cas des Russes, dépassent rarement la centaine d'individus. Enfin, le hooliganisme cause plus de dégâts qu'il ne rapporte à qui que ce soit ; c'est là son drame. La balance d'un touriste hooligan est logiquement négative. Le hool pille et consomme peu, si ce n'est des litres de bière. Un consommateur peu bankable pour l'UEFA, donc. Et de fait, très simple à montrer du doigt.

Photo de Funky1opti via Flickr.

Les affrontements à Marseille ont révélé combien la lecture des motivations d'un hooligan était complexe. Les Anglais, désagréables « dès le début d'après-midi » aux dires des commerçants marseillais, se sont chauffés avec des confrères russes qui pour l'occasion, avaient créé des alliances de circonstances – les fans du Spartak Moscou étant les ennemis historiques des supporters du Lokomotiv. Des batailles chaotiques dignes des meilleures batailles de rues des films américains ont alors éclaté. Le reste appartient déjà à l'Histoire.

Norbert Elias, écrivain et sociologue allemand, s'est un jour demandé pourquoi le football était un sport si agressif. Selon ses termes, le foot est un « formidable exutoire de [nos] plus vils instincts ». Il permet de hurler nos pulsions annihilées par la vie en société et l'institutionnalisation de normes et de valeurs castratrices. Elias considère le football comme l'un des rares spectacles où la violence d'un tacle ou d'un duel aérien est autorisée dans le cadre même du jeu. Assister à cet art de la violence légale ne peut seulement s'applaudir ou se siffler. Le football est tout sauf binaire. Et avec Norbert, je pense que le football se crache, se crie et s'arrache – voire plus.

Quand je vois un joueur ennemi tacler salement un type de ma team, j'ai envie de désosser ma télé. Au stade, je me lève et l'insulte et peux songer, éventuellement, à rentrer sur le terrain pour l'égorger. Elias dit que le football libère des pulsions agressives et je suis d'accord avec ça. Le football ne peut pas se "consommer". On ne le remporte pas chez soi pour l'utiliser. Il se vit et se dispute.

Le 12 juin 2016, j'ai ressenti cela, comme de nombreux fans de foot, lorsque des milliers d'ultras allemands et ukrainiens ont égayé l'ambiance (d'habitude mortuaire) du stade Pierre-Mauroy de Lille. Ce qui est arrivé à Marseille est, selon moi, du même ordre. Un truc conflictuel adoré des uns et critiqué, détesté et honni par tous les autres.

Parce que selon moi, le jour où les stades du monde entier seront envahis de spectateurs-consommateurs et que le football sera apprécié des vieux, des femmes, des enfants, des cadres, des professeurs, des gens modérés, des cyclistes, des pro-rubgy, des inconditionnels de Jean-Pierre Pernaut comme des intellectuels, bref, lorsque tout le monde aimera un truc aussi violent et segmentant qu'un match de football, cela signifie qu'il sera, une bonne fois pour toutes, six pieds sous terre. Amen.