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Si vous pensez être mort, vous êtes sûrement atteint du syndrome de Cotard

Les personnes atteintes du syndrome de Cotard pensent êtres mortes ou en train de se décomposer. Et ce n'est pas une tendance goth.
Image : Flickr

Je dois à l'excellent Chuck Klosterman ma première rencontre avec le syndrome de Cotard, qui constitue objectivement l'une des pathologies les plus profondément étranges et flippantes que l'esprit humain ait créées à sa propre intention. Dans Killing Yourself to Live, Klosterman expose sa propre théorie selon laquelle la Terre serait une sorte de purgatoire, similaire à une version du Sixième Sens dans laquelle nous serions tous Bruce Willis, spectres errants, sans qu'aucun d'entre nous ne s'en aperçoive grâce à l'aide d'un enfant irritant pas encore engagé sur les chemins tortueux de l'obésité adolescente. Le simple fait d'envisager cette possibilité amène Klosterman à réaliser qu'il doit faire un choix : (a) devenir un prophète, ou (b) accepter qu'il est victime du syndrome de Cotard.

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Le neurologue et psychiatre français Jules Cotard n'a certes vécu que 49 ans (1840-1889), mais il restera à jamais comme « le mec qui a donné son nom à l'une des maladies mentales les plus tarées qui soient » : le syndrome de Cotard conduit les personnes qui en sont atteintes à se considérer comme mortes. Il s'agit donc à la fois d'une forme de dépression extrêmement sévère (puisqu'elle aboutit à la négation plus ou moins totale de sa propre existence), mais aussi d'une manifestation apothéotique de l'hypochondrie (puisque l'on peut difficilement se croire atteint d'une maladie plus grave que la mort ; mais aussi parce que – surprise – les gens atteints du syndrome de Cotard ne sont pas vraiment morts, en fait). Toutefois, il existe différents degrés de sévérité de la maladie, et tous les patients ne présentent pas les mêmes symptômes. Il arrive parfois que ceux-ci soient un peu plus spécifiques, ce qui n'enlève rien à leur gravité – surtout si l'on considère que le syndrome deCotard conduit souvent, et paradoxalement, au suicide. Ainsi, certains patients se persuadent qu'un ou plusieurs de leurs organes ont disparu (ce qui est d'autant plus gênant que l'organe joue un rôle apparent, comme dans les cas où l'individu pense n'avoir plus de bouche ou de bras droit), ou encore que le sang a cessé de couler dans leurs veines, voire même qu'ils ont perdu leur âme. Il arrive même que les victimes du syndrome croient sentir l'odeur de leur propre chair en train de se décomposer. Toutefois, il est extrêmement rare que le malade n'acquière pas rapidement, stade ultime du syndrome, la conviction inébranlable de sa non-existence. C'est précisément ce qui fait l'unicité du syndrome de Cotard : contrairement aux formes plus classiques de l'hypochondrie, ou encore aux maladies badass mais réelles comme le cancer ou la blennorragie, il ne suscite pas chez le sujet atteint la peur de mourir ; celui-ci est déjà certain d'être mort. Syndrome délirant, le syndrome de Cotard est aussi considéré comme un « syndrome mélancolique », ce qui a le mérite d'introduire une petite touche emo dans toute cette horreur. Je serais extrêmement curieux de voir un groupe de metal constitué uniquement de musiciens atteints du syndrome de Cotard. En attendant, je crois savoir que le fameux Dead, du groupe Mayhem (le chanteur qui s'est suicidé en 1991 et qui aimait enterrer ses vêtements pour avoir l'air d'un vrai cadavre ambulant), en était très probablement atteint.

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Les patients atteints du syndrome de Cotard ne sont par ailleurs pas toujours « fous », au sens où ils tirent des conclusions étonnamment logiques de ce qu'ils croient être leur état. Il est donc commun que ceux-ci se pensent immortels, atteints d'un mal incurable (il est très difficile d'estimer le nombre des personnes atteintes par le syndrome, dans la mesure où celles-ci ne consultent presque jamais un médecin, dont l'action serait forcément vaine à leurs yeux) les condamnant à errer éternellement sans délivrance possible. C'est en partie ce qui explique le taux de suicide extrêmement élevé : j'imagine que si j'étais persuadé d'être déjà (au moins partiellement) mort et profondément dépressif, je tenterais quand même de me tuer pour voir ce que ça donnerait. Ou alors j'écouterais The Cure dans ma chambre. Le cas le plus emblématique, présenté par Cotard lors d'un discours prononcé à Paris en 1880, est celui d'une certaine « Mademoiselle X » qui, après avoir violemment nié l'existence de Dieu, du Diable et du monde sensible, en vint à réfuter celle de plusieurs de ses organes. Elle cessa ensuite de s'alimenter, avant que l'aggravation de son délire ne la pousse à croire à sa damnation éternelle et à l'impossibilité d'une mort naturelle. On retrouve donc chez ce cas remarquable toutes les étapes potentielles du développement du syndrome. Malheureusement pour elle, elle finit par mourir de ne plus s'être alimentée, sans toutefois avoir jamais déclaré souffrir de la faim. Comme de nombreuses pathologies mentales, le syndrome de Cotard possède la capacité de supprimer certaines sensations physiques chez ceux qui en sont atteints.

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Il y a quelques mois, nos collègues de Motherboard US avaient rencontré une jeune femme qui avait été elle-même atteinte du syndrome de Cotard. Esmé Weijun Wang - c'est son nom - s'était ainsi réveillée un matin avec la conviction inébranlable de sa propre mort. Vous pouvez lire l'intégralité de son interview (en anglais) ici. Ce qui est le plus intéressant dans le cas d'Esmé, c'est qu'elle n'était pas seulement convaincue d'être décédée ; elle pensait que ses proches l'étaient tout autant qu'elle. "Je suis morte, avait-elle expliqué un beau matin à son mari encore assoupi. Toi aussi tu es mort, et Daphné [leur chienne] est morte elle aussi."

Photo : Esmé Weijun Wang.

Son délire a duré plusieurs mois, pendant lesquels elle a cru être tour à tour au paradis et enfer. Les battements de son coeur, le poids de ses membres, les pensées qui traversaient son esprit - tout cela n'était qu'illusion pour elle. Elle pouvait même remonter à l'instant de sa mort, qu'elle situait à un voyage en avion lors duquel elle s'était évanouie.

Esmé souffrait sans doute d'une forme peu sévère du syndrome. Il lui arrivait ainsi, certains jours, de douter qu'elle soit morte ; il n'était alors pas rare qu'elle prenne les médicaments que le médecin lui avait prescrits. À d'autres moments, il était impossible de la dissuader qu'elle était en enfer. Mais elle n'a jamais envisagé de se suicider, tant cela lui aurait semblé illogique : elle était déjà morte. Les voies de Cotard sont impénétrables.

Son délire a disparu aussi subitement qu'il était arrivé. Esmé chantait une chanson pour sa chienne, Daphné, quand son mari lui a demandé si elle croyait que Daphné existait vraiment. C'est alors qu'elle a réalisé qu'elle le croyait sincèrement, et qu'elle croyait aussi à sa propre existence. Dans le doute, on devrait toujours chanter des chansons pour les chiens.