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L'album de Gradur est sorti après que je rende mes textes. Plus généralement, je pense qu'il faut laisser un certain temps aux albums et il aurait été prématuré de faire figurer un disque de 2015 dans cette liste. Ce sera intéressant de voir le statut que va acquérir ce projet au fil des années mais, à chaud, je le vois un peu comme le point culminant d'une tendance initiée à une grande envergure en France avec le premier album de Kaaris.On parle beaucoup de trap en ce moment, à raison puisque les rappeurs s'y engouffrent avec plus ou moins de succès. La comparaison Kaaris/Gradur revient souvent alors que leur manière d'en faire est justement très différente. Le rap de Kaaris est beaucoup moins brut qu'on veut le laisser croire, ses textes sont plus travaillés, il y a une vraie volonté de varier ses flows et de se diversifier… Chez Gradur, tout est beaucoup plus instinctif et basé sur le gimmick et l'énergie. Présenté comme cela, ça pourrait sembler limité mais il a réussi la prouesse de faire en sorte que ça fonctionne sur tout un album. Si on ajoute à cela ses impressionnants chiffres de vente, on peut le voir comme le fer de lance d'une nouvelle génération. On verra donc si le temps considérera L'Homme au bob comme un disque important ou un épiphénomène.
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Je vois déjà certains me clouer au pilori en raison de l'absence de cette compilation, sortie en 1996, dans le livre. En le réécoutant, on se rend compte à quel point l'ADN de La Cliqua – le groupe de Rocca, Daddy Lord C et Raphaël – est présent tout le long. Sorti entre Conçu pour durer et Entre deux mondes, il est une sorte de lien entre les deux disques et j'ai préféré le mettre de côté dans un souci de diversité. Mais c'est évidemment un indispensable : « Le Hip-Hop mon royaume », l'apparition des Petits Boss, le featuring de Shyheim, « Rap Contact », etc. Une époque suspendue dans le temps où La Cliqua, et surtout Rocca, donnaient l'impression de survoler le rap français.
Sniper est peut-être LE groupe de rap du début des années 2000. Du rire aux larmes s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires et a alors confirmé le potentiel du groupe (aperçu précédemment au sein de leurs collectifs antérieurs M Group et Comité de Deuil). Il apparaît pourtant assez rarement lorsqu'on pense aux albums incontournables, probablement parce que le groupe a été matraqué sur Skyrock à un moment où le rap français et la radio commençaient à se regarder en chiens de faïence. À mon sens, Du rire aux larmes possède un statut similaire aux premiers albums de Disiz ou Sinik : des disques plutôt réussis, de véritables succès commerciaux, des singles connus de tous mais auxquels il manque probablement un ou deux titres vraiment forts. Plus globalement, je pense que ce sont des artistes qui ont longtemps couru après un disque définitif. Un peu comme Soprano, autre tête d'affiche qui déclarait d'ailleurs ne pas vouloir sortir de classique afin d'éviter de vivre ce que connaît Nas, « que l'on ramène toujours à Illmatic ».
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À titre personnel, j'ai toujours eu une fascination pour ceux que Sameer Ahmad a récemment désignés par le terme de « perdants magnifiques » dans son album éponyme. Ces gens brillants, plus doués que la moyenne, mais qui n'auront jamais la reconnaissance qu'ils auraient dû avoir. Ill, le rappeur des X-Men, est probablement l'exemple le plus fragrant, mais on peut également mentionner des virtuoses comme Le Célèbre Bauza ou M.O.M.S. Nubi est aussi de ceux-là. Scarlatitude est d'ailleurs régulièrement cité par une partie de la nouvelle génération (de S.Pri Noir à Deen Burbigo) comme l'un des disques qui les a le plus influencés. Sorti en 2006, en plein âge d'or des street-CDs en et porté par le single « Mack le biz », il confirmait que Nubi était un incroyable technicien.
Il s'est passé quelque chose d'intéressant en 2011 avec l'émergence de la scène 1995/L'Entourage. Même si ces groupes ont chacun évolué et proposent de nouvelles choses depuis, ils se sont d'abord fait connaître en essayant de remettre un certain son au goût du jour. Grossièrement, on pourrait parler de boom-bap, d'un retour à ce son que proposait le rap new-yorkais du milieu des années 1990. Ce qui est intéressant, c'est que plusieurs rappeurs ont pratiqué ce rap quelques années auparavant, mais sans rencontrer le même engouement. Dernier Pro, Tchad Unpoe et donc Enz, dont l'album paru en 2007 Ma Boutique est probablement le disque le plus abouti sorti par cette scène. Je le compare un peu aux Deux Pieds sur Terre sorti un an plus tôt par Kohndo, et avec lequel il partage influences et différents producteurs.Mehdi est le rédacteur en chef adjoint de L'Abcdr du Son. Il vient de publier « Rap français : une exploration en 100 albums » aux éditions Le Mot et Le Reste. Courez l'acheter.